C’est un réel plaisir de suivre cette route des vins qui serpente à travers les collines du vignoble, au pied des pentes boisées des Vosges.
Le vignoble s’étend du nord au sud sur plus de 170 km. Son parcours est un pur bonheur : des villages fleuris aux winstubs, des collines ondulées, où se dressent fièrement les vignes prêtes au combat comme des troupes de légionnaires romains à la multitude des crus, les uns plus typés que les autres. L’homme vient s’associer à un terroir hors du commun, où l’on élève des vins sans concurrence, avec cette typicité exceptionnelle. Abrité des influences océaniques par le massif vosgien qui lui procure l’une des pluviosités les plus faibles de France (450 à 500 mm d’eau par an), le vignoble d’Alsace bénéficie d’un climat semi-continental ensoleillé, chaud et sec. Ce climat est propice à une maturation lente et prolongée des raisins, et favorise l’éclosion d’arômes d’une grande finesse. La géologie alsacienne représente une véritable mosaïque, du granite au calcaire en passant par le gneiss, le schiste, le grès…
On ne peut pas confondre un vin d’Alsace avec un autre cru, tant les terroirs laissent s’exprimer particulièrement, ici, le Riesling, là, le Gewurztraminer ou le Pinot gris. Attention à la complexité des crus et lieux-dits et lisez bien les étiquettes, pour ne pas confondre les clos, les Grands Crus ou les communes, et à la dépersonnalisation de quelques vins, notamment en Riesling, qui commencent à être bien trop ronds et loin d’une typicité réelle, où la nervosité devrait être de mise. Appréciez en tout cas l’extraordinaire convivialité des hommes de la région et les vrais vins typés dont les meilleurs atteignent une typicité rare et procurent la joie du vin, à des prix très sages.
Le vignoble alsacien
Le vignoble alsacien s’étend sur environ 15 500 ha (19 % de la production française de vins blancs AOC hors effervescents). Trois AOC : Alsace (83% de la production totale) complétée par l’indication facultative d’un nom de cépage : Alsace Grand Cru, complétée par l’indication obligatoire à la fois d’un nom de cépage et d’un nom de terroir (4% de la production totale) ; et Crémant d’Alsace (13% de la production et 21 millions de bouteilles).
Les vins et leurs appellations
Riesling
C’est le prince des raisins alsaciens. Les vins qui en sont issus sont secs, fruités et nerveux, subtilement bouquetés et de très grande classe. Le Riesling croît à merveille près de Turckheim, Dambach-la-Ville, Ribeauvillé, Riquewihr, Kaysersberg, Mittelwihr et Guebwiller. C’est le cépage le plus tardif.
Gewurztraminer
Plus alcoolisé que le Riesling, charpenté, de saveur épicée et très parfumé, le Gewurztraminer est un vin qui vieillit parfois remarquablement bien. Son bouquet intense développe de riches arômes de fruits, de fleurs ou d’épices (gewurz veut dire épicé). Puissant et séducteur, parfois légèrement moelleux, c’est souvent un vin de garde. Les “vendanges tardives”, c’est-à-dire soumises à une maturité excessive, sont quelquefois époustouflantes, étonnantes de richesse d’arômes et d’onctuosité. Bons terroirs : Bergheim, Turckheim, Sigolsheim, Barr, Dambach-la-Ville, Pfaffenheim…
Pinot gris
Vin corsé et opulent, d’une belle robe jaune, d’aussi grande allure que le Riesling et le Gewurztraminer, peut-être encore plus puissant et violent que ce dernier, chargé autant en alcool qu’en arômes. Excellents vins de vendanges tardives. Les meilleurs proviennent des terroirs du Riesling et de Rouffach, Ribeauvillé ou Wintzenheim.
Muscat d’Alsace
Vin sec, frais et fruité, au goût musqué, exhalant parfaitement la saveur de son raisin. Charmant à boire à l’apéritif. Bonnes étapes à Ribeauvillé, Gueberschwihr et Mittelwihr.
Sylvaner
Le Sylvaner est frais et léger, avec un fruité discret. Agréable et désaltérant, il sait montrer une belle vivacité (Sigolsheim, Turckheim).
Chasselas
Arraché de plus en plus, le chasselas produit une majorité de vins légers et faciles à boire.
Pinot blanc
Plus corsé et souple que le Sylvaner, délicatement bouqueté et assez charpenté, c’est un vin très agréable à boire frais.
Pinot noir
Le Pinot noir est le seul cépage en Alsace à produire un vin rouge ou rosé dont le goût fruité typique évoque la cerise. Vinifié en rouge, il peut être élevé en barriques de chêne, ce qui ajoute à ses arômes une structure plus charpentée et plus complexe.
Crémant d’Alsace
L’AOC Crémant d’Alsace représente un quart de la production (quelque 500 collaborateurs) et couronne les vins d’Alsace effervescents, vifs et délicats, élaborés selon la méthode traditionnelle (comme en Champagne), principalement à partir du Pinot blanc, mais aussi du Pinot gris, du Pinot noir, du Riesling ou du Chardonnay. Ces vins sont aujourd’hui parmi les meilleurs Crémants de France. Le Crémant rosé, plus rare, est issu du seul Pinot noir.
L’étiquette où figure l’AOC Alsace mentionne habituellement le nom du cépage concerné. Elle peut également comporter un nom de marque ou la mention “Edelzwicker” pour un assemblage de cépages blancs.
Les Vendanges Tardives proviennent de cépages identiques à ceux admis dans les Grands Crus, récoltés en surmaturité. Au caractère aromatique du cépage s’ajoute la puissance due au phénomène de concentration et au développement de la pourriture noble (Botrytis cinerea).
Les Sélections de Grains Nobles sont obtenues par des tris successifs des grains atteints de pourriture noble. De très grands vins, rares et racés.
Les 51 grands crus
L’AOC Alsace Grand Cru est conférée à des vins satisfaisant à des contraintes de qualité particulièrement sévères, notamment en matière de délimitation des terroirs, de richesse naturelle, de dégustation d’agrément. L’étiquette précise obligatoirement, outre le cépage (seuls le Riesling, le Gewurztraminer, le Tokay-Pinot gris et le Muscat sont admis), le millésime et l’un des cinquante lieux-dits délimités pouvant bénéficier de cette appellation. Tout autant que le cépage, c’est l’empreinte du terroir qui fait de chaque Alsace Grand Cru un vin unique. Le degré minimum naturel d’alcool est de 10° pour le Riesling et le Muscat d’Alsace, et de 12° pour le Gewurztraminer et le Tokay, avec un rendement maximum autorisé de 70 hl/ha.
Les vins d’Alsace à table
L’Alsace est l’exemple caractéristique des grandes régions vinicoles et gastronomiques françaises où le mariage des vins et des mets peut surprendre le plus. Bien sûr, on connaît les spécialités du pays, les choucroutes, les fromages, les charcuteries ou le kouglof, et l’intensité aromatique des grands crus, alliant finesse et richesse en bouche. On se doute bien qu’un vin d’Alsace se déguste aussi avec des crustacés ou des fruits de mer mais on oublie parfois l’extraordinaire osmose d’un Muscat avec des asperges, par exemple.
Les vins peuvent se boire pratiquement tout au cours d’un repas. Sur la choucroute (Riesling), avec une sole meunière (l’Alsace est riche également de poissons de rivière), avec des crustacés. Plus original, le fameux “poulet au Riesling”, une blanquette de veau à l’ancienne. La puissance de son bouquet et sa persistance aromatique en bouche placent le Gewurztraminer comme un apéritif idéal. Il est superbe avec un pâté en croûte ou une terrine de foies blonds, ainsi que sur la tarte flambée. Les Vendanges Tardives se savourent sur un foie gras d’Alsace, au naturel ou en brioche, et sur des fromages forts comme le maroilles, le munster ou le roquefort.
Les fêtes
D’avril à octobre, les fêtes viticoles ainsi que les foires aux vins perpétuent les traditions : Colmar (la semaine du 15 août), Ammerschwihr (avril), Molsheim (au 1er mai), Guebwiller
(à l’Ascension), Barr (mi-juillet) et Ribeauvillé (fin juillet) comptent parmi les principales.
L’histoire
Avant la conquête romaine, l’Alsace cultivait la vigne. Venue, sans doute, de la Provence gauloise par les vallées du Rhône et de la Saône, la vigne s’était établie sur les rives vermeilles du Rhin et de la Moselle. Des jardiniers syriens et grecs, des vignerons de Massilia l’y avaient implantée. Dans certains arrangements des échalas, l’ampélographie devine quelque lointaine habitude gréco-orientale. La vigne fut connue avant l’irruption des conquérants latins. Au Moyen Âge, l’Alsace produit d’énormes quantités de vins recherchés. Des bateaux ou des chariots les conduisent chez les Souabes, les Bavarois, les Bataves jusqu’en Suède. En Angleterre, à la cour d’Édouard III, ils sont connus sous le nom de vins “d’Aussay” (nom de l’Alsace au Moyen Âge). Les premiers vignerons cultivaient les vignes pour les puissantes abbayes et les maisons seigneuriales si nombreuses dans l’Alsace féodale et religieuse. Avec l’émancipation des communes, ils peuvent travailler quelques lopins de terre abandonnés à leur profit. Beaucoup plus tard, ils purent en acquérir des seigneurs. Sans se faire “plébéienne”, la vigne se morcela. Parmi les confréries, se détache celle de la Corne. Nul ne pouvait y être admis s’il ne vidait d’un trait une corne d’aurochs, d’une contenance de 2 pots, soit 2 l actuels. Les plus nobles familles n’obtenaient d’y être admises qu’après avoir vidé leur corne pleine deux fois au lieu d’une. Ainsi fut justifié le nom de wiedercome (revenez-y), donné à un vase à boire.