Les hommes de la région font des vins à leur image, chaleureux, et le beau niveau qualitatif des meilleurs vins est incontestable, que ce soient des crus ou non.
La force du terroir et la structure des vins de Chénas, de Juliénas, de Régnié ou de Moulin-à-Vent, l’élégance d’un Fleurie, d’un Saint-Amour, d’un Brouilly ou d’un Chiroubles… tout concourt à prendre au sérieux les meilleurs vins de la région et à ne pas s’arrêter à la production des “primeurs”, pour lesquels j’avoue néanmoins un faible, pour situer leur véritable niveau qualitatif. Les vins qui comptent bénéficient d’une typicité réelle exacerbée par des terroirs spécifiques où l’on retrouve aussi bien des roches volcaniques que des argiles siliceux. À cela s’ajoute une complexité aromatique réelle, toujours dominée par les petits fruits rouges mûrs, qui vient s’associer en bouche à une saveur bien particulière où la finesse retrouve le charnu, la fraîcheur le velouté, le tout donnant des vins qui en surprendraient plus d’un par leur potentiel d’évolution.
Le vignoble du Beaujolais
L’appellation concerne en tout 72 communes et deux grandes zones la composent :
– La première, située au sud du vignoble, s’inscrit globalement dans un quadrilatère dont les sommets sont Chazay-d’Azergues, Pontcharra-sur-Turdine, Chamelet et Villefranche ; elle est traversée, dans sa partie sud, par l’Azergues et ses nombreux affluents, le plus important d’entre eux, le Soanan, rejoint l’Azergues aux ponts Tarrets. Au sud-ouest (entre Soanan et Azergues), les coteaux s’adossent à une petite chaîne de sommets dont le plus avancé est le mont Chatard (701 m).
Au nord-est de l’Azergues, les crêts Rémont puis une succession de sommets s’étageant entre 650 et 800 m constituent l’arête principale d’où descendent les coteaux dont les pentes s’étalent en éventail en direction du val de Saône et jusqu’à Villefranche. Une chaîne de crêtes nord-sud (Charnay-Pommiers), parallèle au val de Saône domine (350 à 400 m) un magnifique paysage de collines couvertes de vignes. Le sol est constitué de dépôts sédimentaires argilo-calcaires qui datent de l’ère secondaire ; on y trouve des roches variées, grès, calcaire blanc, calcaire à gryphées, pierre dorée. Les calcaires et leurs sols argileux ou caillouteux donnent des terres gardant l’humidité et la fraîcheur. L’épaisseur du sol est faible (quelques dizaines de centimètres) et les cailloux nombreux. Les sols sont souvent riches en calcaire. Ce sont des terres peu profondes, qui alternent avec les terres gréseuses.
– La seconde zone s’étire en direction du nord, en une bande presque continue, depuis Villefranche jusqu’à la Saône-et-Loire, sur les premiers coteaux, longeant la vallée de la Saône. Les sols sont essentiellement constitués d’alluvions déposées au cours des ères tertiaires et quaternaires et, dans les parties les plus hautes, de déchets d’érosion provenant des zones supérieures (roches métamorphiques délitées et pourries). Ces cailloutis, argileux et non calcaires, forment des terres à vignes très caillouteuses en surface et argileuses en profondeur.
Les pentes sont très faibles et le sol facile à travailler. Elles se rapprochent des terres argileuses du secondaire. Les terrains argilo-calcaires de la partie sud de l’aire d’appellation sont des terrains plutôt froids, ne favorisant pas la maturation précoce des raisins, les vendanges ne s’y font pas très tôt ; les vignes des bas de coteaux à proximité du val de Saône, cailloutis alluviaux mêlés d’argile, sont plutôt précoces pour la maturation.
Les crus et les appellations
Saint-Amour. Sur 310 ha, les vins de Saint-Amour sont ce que l’on attend des Beaujolais. Légers et fruités, modestes, ni des vins de garde, ni des vins de folie, mais surtout des vins plaisants et très agréables à boire. Sol argilo-siliceux.
Juliénas. Sur 580 ha, plus charpenté et structuré que le Saint-Amour, le Juliénas réussit à conserver assez longtemps le fruité de sa jeunesse. Il est solide et de bonne garde. Sol de schiste et granit, filons argileux.
Chénas. L’appellation (260 ha) couvre l’essentiel de la commune, l’est et le sud bénéficiant de l’AOC Moulin-à-Vent. Des vins corsés, étoffés, assez tanniques et généreux, qui évoluent favorablement. Sol de sable granitique.
Moulin-à-Vent. Plantés sur les communes de Romanèche-Thorins et les alentours de Chénas (sur 660 ha), les vins sont issus de sols de granite rose riche en manganèse. Ils sont amples, puissants et parfumés. On peut les conserver plusieurs années.
Morgon. Sur 1 120 ha, les vins sont denses, corsés et s’améliorent généralement en bouteilles. Ce sont les mi-côtes qui donnent les vins les plus soutenus, surtout si leurs vinifications sont traditionnelles et faites à partir de vieilles vignes. Sol de schistes granitiques décomposés.
Chiroubles. Sur 350 ha, l’exemple du vin “primeur” qui peut, s’il est bien fait, être fort plaisant. Obtenu par maturation rapide, très fruité et velouté, il faut le boire généralement dans les 6 mois qui suivent les vendanges. Sol de granit et porphyre.
Fleurie. Le plus élégant, sur 860 ha. Plus fin et distingué que le Moulin-à-Vent, extrêmement fruité, c’est un vin charmant et séduisant. Sol d’arène granitique.
Brouilly et Côte-de-Brouilly (1 325 et 310 ha). Colorés et légers, les vins sont tendres et fruités (sol de granit et sables alluviaux). Ceux de Côte-de-Brouilly sont plus corsés (sol de granit andésite).
Régnié. S’étendant sur 400 ha, c’est le dixième cru du Beaujolais depuis 1988. Un vin assez dense, corsé et parfumé, qui associe finesse et charpente. Sol granit sablonneux.
Les Beaujolais-Villages. L’étude “La Terre et la Vigne”, réalisée par le Centre culturel scientifique et technique de Grenoble, décrit ainsi le terroir de l’AOC Beaujolais-Villages (5 100 ha environ répartis sur 38 communes, 25 % de la production totale dont une partie est commercialisée en Beaujolais-Villages Nouveau) : “le granite et les sols sablonneux donnent des terres à vignes légères, acides et composées de beaucoup de sable et d’un petit peu d’argile qui proviennent de l’arène granitique. Ces sols sont maigres, filtrants, faciles à travailler.” Il est également précisé : “L’altération des schistes cristallins libère de nombreux éléments minéraux comme le fer, le potassium, le manganèse qui vont imprimer au vin des caractères particuliers.”
Les Beaujolais. L’appellation Beaujolais (7 000 ha) concerne essentiellement trois cantons : Villefranche, Anse et Le Bois-d’Oingt, auxquels s’ajoutent quelques villages de cantons de l’Arbresle et Tarare, soit 55 communes, et des parcelles en limite des communes vouées à la production de Beaujolais-Villages ou des crus : Les Ardillats, Beaujeu, Chiroubles, Émeringes, Fleurie, Jullié, Marchampt, Saint-Didier, Vauxrenard, Vernay, Villié-Morgon, Charentay, Corcelles, Lancié, Saint-Étienne-des-Oullières, Saint-Jean-d’Ardières, Saint-Georges-de-Reneins.
En tout, 72 communes dans lesquelles le Beaujolais est soit la production unique (c’est le plus grand nombre), soit associé à une autre production : vins d’appellation Beaujolais, fruits, maraîchage, polyculture. Il faut savoir frapper à la bonne porte pour trouver d’excellents vins, francs, fruités, qui vont du plus léger au plus structuré.
À noter quelques très bonnes bouteilles de Beaujolais blanc (200 ha, Chardonnay), un vin frais et floral, rond et persistant en bouche. On peut trouver d’intéressants vins dans les appellations Coteaux-du-Lyonnais, en rouges et en blancs.
Dans le haut Beaujolais et dans la région des Beaujolais-Villages, les vignerons travaillent généralement sur vigne basse, à taille courte. La culture de la vigne à taille haute, sur fil de fer, prédomine dans le bas Beaujolais. Cépage : pour 98 %, le Gamay noir à jus blanc.
Les vins du Beaujolais à table
Il y a deux façons de déguster les crus du Beaujolais : dans leur jeunesse, en profitant de leur couleur et de leur fruité avec des charcuteries, des rillons, des fromages à pâte molle ou une viande rouge grillée (les Beaujolais-Villages, les crus de Brouilly, Côte-de-Brouilly, Chiroubles et Saint-Amour sont parfaits), ou parvenant à maturité, notamment les crus plus charpentés, c’est-à-dire avec un minimum de quatre à cinq années d’évolution, sur une cuisine plus élaborée.
– Fleurie, Juliénas. Très parfumés, à dominante de fruits rouges et de sous-bois, à présenter avec une oie farcie, un fromage bleu (Auvergne ou Bresse), ou un gibier (perdrix).
– Chénas, Morgon, Moulin-à-Vent, Régnié. Bouquetés et denses, parfaits sur une terrine de gibier, du jambon fumé ou un foie de veau.
L’histoire
Le Beaujolais doit son nom à la maison des Beaujeu. La trace du premier seigneur de Beaujeu apparaît aux alentours de 950. Il s’appelait Bérard et était un homme avisé dont le château, bien assis au-dessus de l’Ardières, dominait fièrement le pays de Beaujeu. Durant les ixe, xe et xie siècles, les sires de Beaujeu se taillèrent un territoire important. Ils firent du Beaujolais un état-tampon entre le Mâconnais et le Lyonnais.
En 1140, Humbert III fonde Villefranche. En 1260, Guichard V gratifie la ville du droit de sceau, lui concédant ainsi une personnalité juridique.
Au XIVe siècle, sous Antoine de Beaujeu, la province beaujolaise est très vaste :
– elle s’étend au nord jusqu’au Mâconnais et à la Saône-et-Loire ;
– à l’ouest, elle comprend les monts de Beaujolais jusqu’à la Loire ;
– à l’est, elle comprend une partie du département de l’Ain ;
– au sud, elle descend jusqu’à Villefranche.
En 1400, Édouard de Beaujeu fait don de ses terres aux Bourbons ; l’un d’eux, Pierre de Bourbon, épouse Anne de France, fille de Louis XI, dite Anne de Beaujeu. Durant cette période, le Beaujolais profite largement du mécénat de ce couple. Sur leur initiative est construit le grand portail de Notre-Dame-des-Marais à Villefranche en 1500. En 1514, Anne de Beaujeu donne ses armes à Villefranche et la nomme capitale du Beaujolais. La période des Bourbons s’achève en 1527, après la trahison du connétable Charles III qui voit tous ses biens confisqués. Le Beaujolais devient alors l’apanage de la famille d’Orléans.
À partir du XVIIe siècle, Villefranche affirme son activité industrielle, les tanneries s’installent le long de Morgon, l’industrie textile se développe et la bourgeoisie s’enrichit.
La Révolution arrive, l’échevinage est remplacé par un conseil municipal et la milice par une garde nationale. Désormais, l’histoire du Beaujolais va se confondre avec celle de la nation. En 1789, c’est la création du département du Rhône-et-Loire, puis en 1793, c’est la séparation en 2 départements : celui du Rhône et celui de la Loire.
Au XIXe siècle, le Beaujolais est une grande région européenne du textile comme à Villefranche (confection), Tarare (mousseline), Amplepuis, Thizy, Cours-la-Ville… Au XXe siècle, la région se structure progressivement entre les trois secteurs économiques actuels : le commerce et l’industrie, le vignoble, et l’agriculture-élevage avec la production forestière.