Voilà un produit bien méconnu, historiquement et qualitativement, dont l’origine géographique provient des Caraïbes.
Quand l’équipage mettait pied à terre, c’était de fabuleuses virées dans les tavernes des îles, dont la plus fameuse et la plus mal famée était celle de l’Ile de la Tortue. Des bordées qui ne se concevaient pas sans une forte consommation de tafia, ou de rhum si vous préférez.
Les marins avaient adopté cette expression des indigènes (Tafia) pour désigner cette eau-de-vie fameuse tirée du jus de canne, pour le moins enivrante à l’époque. Il est vrai que, plus d’une fois, ceux qui avaient abusé du produit avaient bien du mal à se relever. On les portait pour regagner leurs navires. C’est d’ailleurs pour cela qu’un capitaine avisé ne laissait jamais plus de la moitié de son équipage descendre à terre : il fallait conserver des hommes valides pour ramener les autres, les arracher aux bras de Morphée ou à ceux des filles des tavernes qui leur avaient fait gaspiller des mois de soldes en une nuit.
Ces vertus prodigieuses (sic) du Tafia, un dominicain, le Révérend Père Labat, les avaient déjà notées sur son carnet de route en 1692 quand il débarquait aux Antilles. La conséquence ne se fit pas attendre : pour satisfaire l’opinion métropolitaine, le roi édicte, le 24 janvier 1713, une ordonnance prescrivant leur commerce et même leur fabrication au profit des eaux-de-vie de vin !
Malgré son pouvoir absolu, du moins sur le plan théorique, le roi n’avait guère en pratique les moyens de sa politique. Pensez donc : il serait déjà difficile d’interdire la distillation clandestine des bouilleurs de cru métropolitains, comment l’interdire dans les lointaines Antilles ?
Toute prohibition engendre un fructueux trafic clandestin, comme devaient le constater les Américains puritains quelques siècles plus tard. C’est ce qui n’a pas non plus manqué de se produire tout au long du XVIIIe siècle, où bricks, goélettes et caravelles continuaient à débarquer le Rhum par tonneaux dans les ports métropolitains.
La grande Révolution française devait balayer toutes ces ordonnances restreignant la liberté du commerce. A la Restauration, chaque propriété coloniale de quelque importance disposait de sa distillerie. Deux événements vont alors entraîner un accroissement fabuleux de l’importation de rhum : le phylloxéra et la guerre de 1914-1918.
De 1880 à 1890, les vignobles français vont en effet être ravagés et l’importation de rhum va tripler entre 1870 et 1900. Mais c’est surtout la Grande Guerre qui va favoriser une extension sans précédent des importations. La première utilisation est la consommation des troupes elles-mêmes. On remonte le moral des pioupious comme on remontait celui des marins : à l’aide de grandes lampées de rhum. A tel point que certains historiens pourront dire que le rhum a été l’un des principaux artisans de Verdun. De fait, pour remonter au casse-pipe, sortir des tranchées et se lancer à la baïonnette, mieux valait s’être donné du courage avec un bon coup de rhum. En face, on devait d’ailleurs plutôt marcher au schnaps…
Mais le rhum ne servait pas qu’à entretenir le moral du combattant : il était aussi le produit de base pour la fabrication de médicaments des services de santé et surtout pour celle d’un explosif à base de mélanges d’alcool et d’éther, la fameuse poudre B. La demande de Rhum était telle qu’entre 1914 et 1918 le cours de l’hectolitre passa de 50 à 850 francs ! La paix devrait donc engendrer une des plus graves crises de surproduction de rhum de son histoire. En 1921, l’hectolitre redescendait à 160 francs.
Derrière l’appellation rhum, il existe plusieurs produits différents :
Le rhum de sucrerie
C’est une eau-de-vie obtenue par la fermentation suivie de la distillation des mélasses de canne à sucre. C’est le produit le plus courant, généralement utilisé pour la cuisine. Évitez de vous en servir un verre.
Le rhum agricole ou rhum blanc
On l’appelle aussi le rhum habitant parce que tous les petits exploitants fabriquent le leur. Il est directement tiré du sirop de canne. Quand on le vend nature, il a le goût du jus de canne qu’on nomme Vesou aux Antilles. Il est généralement incolore. Le rhum blanc sert de base aux cocktails, aux punchs, aux planteurs. Trois grandes marques principales le commercialisent : Saint-James, Old Nick et Saint-Gilles. Ces marques ont cependant souvent aussi leur rhum vieux, et c’est heureux.
Le Rhum vieux
Il n’a droit à ce titre qu’après un vieillissement minimum de trois ans dans des fûts de chêne de moins de 600 litres. Comme à Cognac, c’est le tannin du chêne qui lui donne sa coloration naturelle (sans caramel). Plus il vieillit, plus le rhum affine son bouquet et son arôme et plus il perd de sa force alcoolique. Aux Antilles, les négociants et producteurs ont généralement leurs réserves personnelles de rhum vieux, parfois de plus de trente ou quarante ans d’âge. Injustement méconnu, le bon rhum vieux peut être comparable à un Cognac VSOP. Il ne représente en Fance qu’une toute petite consommation.
Le rhum peut évidemment se boire sec, à la corsaire, surtout quand il s’agit du vieux Rhum. Le plus souvent, il sert de base de cocktails, en particulier le rhum blanc. La recette de punch la plus courante consiste à couvrir le fond du verre avec du sirop, à remplir à moitié de rhum (vieux si possible), à ajouter des glaçons et une tranche de citron vert.