Les liqueurs de fruitsLes liqueurs de fruits, obtenues par macération des fruits dans l’alcool durant plusieurs mois, stabilisation par le froid et addition de sirop, sont les plus riches en vitamines (gare au régime). La plus célèbre est la crème de cassis, que l’on mélange à tort et à travers avec du vin blanc en la proposant sous le nom de Kir, sans préciser que le véritable Kir, celui du Chanoine, ne se préparait qu’avec du Bourgogne aligoté. Les autres ne méritent que le nom de vin blanc-cassis. Goûtez-la aussi seule, pour elle-même.
Le Cherry Brandy, obtenu par macération de cerises dans de l’alcool pratiquement pur, tient la dragée haute aux autres liqueurs issues de framboises, prunes ou mirabelles. Il faut le boire pur dans un verre frais, comme la plupart des digestifs à base de fruits rouges. En Suisse, on n’hésite pas à rajouter des arômes de chocolat pour proposer un “Chéri Suisse”, dont l’exploitation du nom semble manifeste. A ce propos, les contrefacteurs sont nombreux. La palme revient à la Maison Suze (liqueur de Gentiane, à boire surtout en apéritif), qui, depuis près de deux cents ans, voit sa bouteille (caractéristique pourtant) outrageusement galvaudée. Qu’elle se rassure, comme certains bijoutiers et couturiers, on ne copie que ce qui peut en valoir la peine, et c’est une manière comme une autre de faire parler de ses produits (souvenez-vous de sa publicité).
La Chartreuse
En voilà une dont le secret de fabrication est bien gardé. On ne compte plus les dents que se sont cassées des copieurs coquins. Usant de leur droit divin, les frères de Voiron manient l’humour et l’absolution devant les espions envoyés des quatre coins de la planète dans leur beau monastère de la Grande-Chartreuse en Isère. Mystérieuse comme le Saint-Esprit, appréciée par les vrais amateurs ou jalousée par ses concurrents (s’il en est), la Chartreuse draine à travers ses alambics le symbole même d’une vraie liqueur.
Elaborée dans le plus total secret à base d’herbes, de plantes et d’eau-de-vie de vins exclusivement, distillée copieusement et parfaitement, rehaussée par du miel pur ou du sirop de sucre, vieillie en fûts de chêne de Russie qui, à l’inverse de ceux du Limousin (pour le Cognac), ne lâchent pas de matières colorantes, la Chartreuse demande à être dégustée religieusement, bien sûr. Présentée soit verte (c’est ma favorite), soit jaune, plus douce, âgée de trois années au moins ou auréolée d’un Vieillissement Exceptionnel Prolongé (VEP), elle est parvenue à se moquer, à travers les siècles, de la mode ou des habitudes des consommateurs.
Preuve qu’un élixir de longue vie (les frères chartreux en proposent aussi) a quand même besoin d’un coup de pouce du Seigneur.
Plus terre à terre, mais apparentée quand même à quelque ancien élixir de moine, la Bénédictine n’hésite pas non plus sur la subtilité de sa composition. Pas moins de vingt-sept plantes très aromatiques sont utilisées (noix de muscade, myrte, hysope, mélisse…), séchées et réparties en différentes distillations dont on ne conserve que le cœur.
L’essence des esprits
Plus nombreuses, les liqueurs à base d’esprits, c’est-à-dire d’extraits d’essences et d’arômes de fruits, plantes ou autres graines et racines, sont pour les meilleures mélangées à de grands alcools. A leur tête, la liqueur de la famille Cointreau. Elaborée à partir d’une macération d’écorces d’oranges douces et amères dans de l’alcool, d’une chauffe qui permet de catalyser les vapeurs aromatiques, redistillée rigoureusement en séparant la tête et les queues de la coulée, le Cointreau est l’une des liqueurs les plus subtiles qui soient, dont la finesse et la complexité d’arômes séduisent régulièrement les femmes (c’est une référence), comme les hommes. A noter qu’il faut le goûter aussi bien sec que sur des glaçons. Si la silhouette de la bouteille de Cointreau fait saliver les amateurs de nectar de plus de 150 pays, ce qui favorise aisément les rentrées de devises étrangères pour l’Etat comme les autres marques de liqueurs qui bénéficient de cet engouement, une autre petite a réussi son impact visuel.
Vous l’avez deviné, je veux parler du Grand-Marnier. Comme le Cointreau, le Grand-Marnier est issu d’une macération d’écorces d’oranges dans de l’alcool, distillé, et cet alcoolat d’oranges est ensuite mélangé à du Cognac. Le Grand-Marnier reste en tout cas une des grandes liqueurs françaises mondialement connues. A tel point que les trois quarts de la production sont exportés, dont une bonne partie aux USA. Toujours les devises… La notoriété du Grand-Marnier est d’ailleurs telle qu’on a assorti cette adorable liqueur à tout un tas de produits, du meilleur au pire, des esquimaux aux crêpes suzette. Un Grand-Marnier se suffit pourtant à lui-même et se boit très bien sec.
Chaque marque de liqueur possède en effet sa propre forme de bouteille, et voilà une bonne occasion de vous lancer dans une nouvelle collection. Sous mes yeux, défilaient donc les rondelettes (Monin’s, Bénédictine, Grand-Marnier, Freezomint de Cusenier), les carrées (Cointreau, une fraise des bois, Loghan Ora), ou les plus élancées (Chartreuse, Mandarine Impériale, Izarra, Marie Brizard). Sur une trentaine de liqueurs dégustées, je continue par celles qui m’ont le plus séduit. La gamme de la maison Cusenier, par exemple. Du Mandarin (liqueur d’orange) au Freezomint (liqueur de menthe), qui rafraîchit le palais, en passant par l’Ambassadeur ou le Curaçao, issu d’écorces d’oranges, fin et fort à la fois. On raconte que cette dernière liqueur, qui doit son nom à une petite île du Venezuela, doit son origine à la colonisation de cet archipel des Antilles néerlandaises par les Hollandais (XVIe siècle), qui en rapportèrent de petites oranges amères. Le Curaçao est fabriqué de même manière que la plupart des autres liqueurs : séchage des écorces, puis infusion dans l’alcool, de douze à trente-six heures. Le mélange est ensuite distillé pour donner un alcoolat d’orange, qui est édulcoré et quelquefois coloré. Souvent mal connue, imitée dans le monde entier, la liqueur de Curaçao mérite une dégustation qui vous fera découvrir son élégance et la chaleur de ses arômes.
A mieux découvrir aussi, une liqueur basque, l’Izarra, élaborée à base de plantes et de macération de fruits dans de l’Armagnac. Proposée en liqueur verte (48°, quarante-huit plantes), ou jaune (40°, trente-deux plantes), elle vaut aussi une bonne note de dégustation.
Quelques autres liqueurs gagnent à être connues, comme Peter Heering, Café Kahlkua ou Get 27, une liqueur à base de menthe, qui se boit avec de la glace pilée. Très rafraîchissant.
Sans m’étendre sur la finesse et la subtilité d’arôme de la liqueur Marie-Brizard, qu’il faut déguster avec de la glace pilée et qu’il n’est plus nécessaire de faire découvrir aux vrais amateurs que vous êtes, testez aussi la délicatesse des autres productions de cette maison en goûtant ses crèmes de banane, de noisette, de noix de coco, de pêche ou de cacao.
Dans les liqueurs de fruits, j’aime bien la remarquable Mandarine Impériale, obtenue par macération d’écorces, filtration et apport de sucre, à humer impérativement en prenant son temps avant de l’avoir en bouche.
Dans un autre style, la Maison Pagès conmercialise avec succès sa Verveine du Velay, fort digestive grâce aux nombreuses plantes, chères aux herboristes, qui entrent dans sa composition.
Une dernière chose : la mode aidant, de nombreuses liqueurs sont utilisées dans la fabrication de cocktails. La plupart des liqueurs de ce guide sont dignes d’être approchées à part entière, surtout en digestifs, à un moment qui semble propice à une osmose parfaite entre le palais des amoureux de l’art de vivre et ces nectars qui fleurent bon leurs essences. Mieux vaut prendre son temps pour les déguster, les choisir, plutôt que de se satisfaire d’un quelconque pousse-café ou d’un mauvais Brandy. Vous y reviendrez.