J’avoue une attirance toute particulière pour la Sicile. Sauvage, à la fois magique et austère, l’île possède ce charme indéfinissable qui crée les légendes. En réalité, la force de la Sicile a toujours été intimement liée à celle de ses habitants même si l’influence de chaque peuple a su marquer une empreinte particulière, des Grecs aux Arabes.
Déjà au VIIIe siècle avant J.-C., la production, la consommation et le commerce du vin rapprochaient la civilisation punique installée en Sicile occidentale et la civilisation grecque installée en Sicile orientale. Les amphores à vin puniques et monnaies grecques sur lesquelles sont gravées des grappes de raisin en témoignent. Un cépage de qualité, présent encore aujourd’hui dans l’île, le Grecanico, fut introduit par les colons grecs. Les vins de l’Etna, célébrés par Homère, Tucidide, Virgile et Tacite, étaient déjà considérés comme le “nec plus ultra” des produits de la vigne, cinq siècles avant notre ère. Au IIIe siècle avant J.-C., la Sicile devint romaine, et l’empire permit aux vins d’arriver jusqu’en Gaule. On a d’ailleurs retrouvé à Pompéi, la ville ensevelie par l’éruption du Vésuve, des jarres de vin sicilien qui faisaient concurrence aux vins locaux de Campanie. Pendant les siècles suivants, les premiers de la période chrétienne, la structure du latifondium permit une nouvelle expansion. Lorsqu’au IXe siècle les Arabes arrivèrent en Sicile, la vigne ne fut plus cultivée pour produire du vin, mais la viticulture fit cependant un nouveau pas en avant : en effet, les Arabes cultivèrent beaucoup de raisin de table, créant l’industrie des raisins secs et introduisant le cépage Zibibbo (dont l’origine vient de zibib, nom d’un chef arabe).
La viticulture et la production du vin revivent sous l’impulsion des Normands, puis des Souabes, s’accentuant encore sous les dominations aragonaise et espagnole, c’est-à-dire jusqu’au XVIIIe siècle. Sous les Bourbons, le vin sicilien franchit réellement les frontières de l’île (confer texte sur le Marsala). Ensuite, phylloxéra oblige, il faut attendre les années 1960 pour pouvoir parler d’une relance réelle de la viticulture sicilienne, qui a reconverti ses structures pour obtenir des vins nouveaux (s’il en est), comme en Sardaigne. Oublié l’arbrisseau à régime sec, ce système mycénien remontant à plus de 30 siècles, et remplacé ipso facto par des systèmes de plus vaste extension comme les espaliers et les baches pour diminuer la chaleur du terrain due au soleil et pour mieux conserver l’arôme du raisin que le climat ensoleilllé a une fâcheuse tendance à dégrader. Bien sûr, l’irrigation des vignobles, qui supprime les aléas climatiques et la sécheresse, a enlevé à la viticulture de l’île ses angulosités, certains diront sa spécificité, et a ravi aux zones tempérées le secret de la maturation graduelle, subtile, permettant une production œnologique de qualité. C’est vrai que sous l’impulsion de son efficace Istituto Regionale della Vite e del Bino (Institut Régional de la vigne et du vin), créé en 1950, la Sicile adapte depuis une dizaine d’années son patrimoine de raisins, choisissant attentivement les vignes, sélectionnant parmi les cépages ceux qui s’adapteront le mieux au soleil sicilien, comme les Inzolia, Catarratto, Malvasia de Lipar, Grappato de Vittoria ou Nera d’Avola, rejoints depuis peu par des cépages extérieurs. Toute la région se mobilise pour trouver de nouveaux débouchés et pour optimiser la distribution. Aujourd’hui, en dehors d’une production importante de vins de table, le pays produit 9 vins à appellation d’origine contrôlée et 11 bénéficiant d’une indication géographique. Les provinces vinicoles les plus importantes sont Trapani, Agrigente et Palerme.
– Les vins blancs
Parmi les vins blancs (11° à 11,5°), les appellations sont l’Etna Blanc (cépage Carricante), produit comme son nom peut l’indiquer aux pieds de l’Etna, et le Vin Blanc d’Alcamo, produit sur le territoire d’Alcamo et dans les communes situées entre les provinces de Palerme et de Trapani (prédominance du cépage Caratto Lucido).
– Les vins rouges
Trois appellations à découvrir : le Faro, produit dans le territoire de la commune de Messine, utilisant des raisins de Nerello Mascalese et de Nerello Mantellato , le Cerasuolo di Vittoria, produit surtout dans le territoire classique de Vittoria, Acate, Chiaramonte, Comiso et utilisant des mélanges de variétés composées de Frappato di Vittoria et de Calabrese, avec une tolérance allant jusqu’à 10 % maximum de Nero Grosso et Nerello Mascalese. A noter, le bon Etna rosé, connu déjà au temps d’Ulysse.
– Les vins de dessert
Vous l’aurez deviné, l’île est surtout connue pour son Marsala qui mérite une place à part (voir plus loin), produit en Sicile occidentale. Les autres DOC sont le Moscato di Noto, le Moscato di Siracusa, le Moscato di Pantelleria et la bonne Malvasia des îles Lipari. A part le Moscato di Pantelleria, obtenu avec le raisin Zibibbo, un beau vin exceptionnel en demi-doux ou doux, tous les autres vins sont obtenus avec leur raisin homonyme.
Le Marsala
Le Marsala est produit dans la province de Trapani avec des raisins de Catarratto, Grillo et Inzolia.
Historiquement, vers 1770, les commerçants anglais avaient des contacts très intenses avec la Sicile ; l’un d’eux, John Woodhouse, de Liverpool, avait probablement dans ses projets de trouver un vin capable de soutenir la comparaison avec les vins portugais et espagnols déjà assez connus en Angleterre. En 1773, son navire, l’“Elizabeth”, embarqua une cinquantaine de fûts (les pipes, de 412 litres chacune) destinés au marché anglais. Woodhouse, de peur que le produit ne s’altérât pendant le long voyage, ajouta de l’eau-de-vie de vin pour le fortifier, composant ainsi la formule définitive du Marsala, dont la fabrication requiert l’adjonction d’alcool de vin au moût en fermentation. L’amiral Nelson le qualifia de “vin digne de la table de tous les gentilhommes”, et au mois de mars 1800, il en commanda 500 pipes pour sa propre flotte méditerranéenne. Pendant un demi-siècle, les producteurs furent donc anglais. Puis en 1831, de grands entrepreneurs, les Florio, bâtirent le premier établissement de production du Marsala et l’exportèrent dans le monde entier ; pour mémoire, c’est précisément dans l’établissement des Florio qu’en 1862 l’illustre général Garibaldi apprécia l’une de ses cuvées, qui porte son nom : Marsala G.D. (ou Garibaldi Doux). Dès 1931, le territoire de production du Marsala fut délimité, puis la réglementation renouvelée en 1984 et 1986. Son élaboration consiste à ajouter de l’alcool de vin au moût en fermentation. Selon ses caractéristiques de production, de degré d’alcool et de durée du vieillissement, la loi distingue les types suivants : le Marsala Fin, avec un élevage d’un an minimum; le Marsala Supérieur (minimum de deux ans), le Marsala Réserve Supérieure (minimum de quatre ans), et le Marsala vierge et/ou Solera, c’est-à-dire très vieux et/ou de Réserve, qui demande un élevage de dix ans minimum. Le vieillissement est toujours fait dans du bois de valeur, le rouvre, et sa couleur passe de l’ambre clair à l’or et au rouge rubis intense. Goûtez-le à l’apéritif comme sur les desserts, voire sur un fromage bleu.
Si l’on est roi chez soi, le Marsala ne trahit pas l’adage : sa production annuelle est pratiquement monopolisée par les Italiens eux-mêmes.