L’existence de la vigne en Champagne remonte aux temps les plus anciens. Déjà les légions du grand César contribuèrent à en développer la culture. Au Moyen Âge, le vignoble fut illustré par saint Rémi, apôtre des Francs et évêque de Reims, grand précurseur de la renommée du vin “de rivière”, définissant à l’époque les vignobles des versants qui dominent les berges de la Marne aux environs d’Épernay et d’Hautvillers, et servi aussi bien, selon Roger Dion, dans son Histoire de la vigne et du vin en France, à un festin que décrit le Tournoi de Chauvency, qu’aux côtés du vin de Beaune “sur les tables d’apparat qu’on dresse à Reims en 1321 pour le sacre de Charles IV, en 1328 pour le sacre de Philippe VI”. On y distinguait d’ailleurs les autres crus d’Ay, de Cumières et de Damery (voir les poèmes d’Eustache Deschamps).
La montagne de Reims, quant à elle, ne connaîtra la gloire que plus tard, vers la fin du xvie siècle. Il n’était pas question alors de vin de mousse, ni de vin de “Champagne”, mais d’un vin tranquille dénommé “vin de France”, appartenant à une province viticole dont l’étendue correspondait à la partie du massif tertiaire parisien qui se déploie au nord de la Beauce, de Mantes à la montagne de Reims, en passant par les coteaux du Laonnois et du Soissonnais. Déjà, l’on se rendait compte des bienfaits des relations publiques pour aider les heureuses dispositions de la nature, en faisant appel (au grand dam des Bourguignons qui monopolisaient le marché des vins de qualité) à la faveur des puissants.
Du pape Léon X à François Ier, d’Henri VIII d’Angleterre au bon roi Henri, sire d’Ay et de Gonesse, Boileau et Louis-Roger Brûlart, marquis de Villery, plus tard, les grands du royaume se mirent à promouvoir (objectivement ou non) le vin de Champagne, rouge surtout. Le médecin Le Paulmier se plut à décrire cet engouement en précisant que les vins issus du Pinot noir (les “clairets”) “tiennent le premier rang en bonté et perfection sur tous les autres vins…”. Prenant la vedette aux modèles bourguignons, celui de Beaune était dès le xve siècle le vin rouge et noble par excellence. La renommée du vin de Champagne acquiert ses lettres de noblesse au Grand Siècle (XVIIe siècle).
Aux historiens de l’époque le soin de s’engager en disant que le vin rouge de Champagne fut supérieur à celui de Beaune. Pas sûr que le climat moins indulgent du premier ait pu réellement gêner la qualité du second. Qu’importe ! La destinée de la région de Champagne en profita pour s’affermir, et l’on sait aujourd’hui que le pays ne s’orientait que vers la production d’un tout autre vin, propre à lui-même et non concurrent des seigneurs rouges de la Bourgogne. Passons sur les efforts et l’habileté des vinificateurs du moment qui parvinrent peu à peu à “faire” du vin gris, presque blanc, tant au château de Sillery qu’à l’abbaye d’Hautvillers. Passons encore sur les hautes recommandations dont bénéficièrent les crus champenois. Même Chaptal laisse entendre qu’ils n’en ont point manqué quand il écrit que les vins sont largement redevables de leur célébrité aux grands seigneurs qui accompagnèrent Louis XIV à son sacre. Ce qui prouve aussi que leur qualité était bien réelle. “En outre, on remarque bien vite, poursuit Roger Dion, qu’en dépit de la précaution qu’on prenait de loger les vins gris dans des futailles neuves, le contact du bois, à la longue, ne leur était pas bon (…) et que le moyen le plus sûr de préserver leurs arômes était de les conserver en des flacons de verre, soigneusement bouchés.” En parallèle, on s’aperçut que dans son récipient de verre, le vin, de lui-même, devenait mousseux. Intervint le légendaire mais réel Dom Pérignon, procureur de l’abbaye d’Hautvillers, à qui revient surtout le mérite d’avoir amélioré la culture de la vigne, créé les assemblages de différents raisins, et sans doute maîtrisé humainement et régulièrement cette effervescence (voir “la méthode champenoise”)
C’est l’avènement du vrai vin de Champagne tel que nous le connaissons, dont Voltaire témoigne en 1736 et Alfred de Vigny en 1853 (“dans la mousse d’Aï luit l’éclair d’un bonheur”). Les vins tranquilles sont devenus vins de joie, et l’effet réjouissant de leur pétulance les fit rapidement adopter.
Une dernière chose qui nous permettra d’enchaîner : durant toute cette belle histoire, le sens commercial des négociants de la région de Champagne, qui déployèrent toute leur énergie à maintenir ou développer leurs ventes en France et à l’étranger, fut bien sûr l’autre facteur d’importance qui contribua – avec le caractère distinctif du vin à mousser – à porter la bonne parole.
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