Nous, nous apprécions les vins (typés) mais nous nous ne les séparons pas des hommes et des femmes qui les élèvent. Quels autres auteurs d’un Guide (ou dirigeant, se contentant de superviser ses “dégustateurs” de son bureau parisien) peuvent se targuer de connaître et rencontrer plusieurs centaines de vignerons, chaque année, sur place, comme nous ?
Comment peut-on parler d’un vin sans connaître celui qui l’élève ?
L’objectivite et la subjectivité se confondent dans ce domaine, on ne peut apprécier franchement (et on n’a pas peur de le dire, nous) un vin d’un propriétaire snob, arrogant, qui ne vante que son cuvier et son œnologue à la mode. A l’inverse, on n’hésite pas à “pousser” un vigneron modeste et chaleureux. C’est notre nature, et le vin, c’est aussi cela.
Voici ce qu’il faut retenir, région par région :
En Alsace, le plaisir est absolu : tout ici concorde à une grande convivialité du vin, où chaque vigneron s’emploie à faire ressortir la typicité de son Riesling ici, de son Gewurztraminer là… Ici, la force des terroirs et la main de l’homme sont toujours en osmose. On ne peut d’ailleurs pas confondre un vin d’Alsace avec un autre cru.
Bordeaux est toujours un espace de vins d’exception, à tous les prix, mais il s’agit de savoir vraiment frapper à la bonne porte.
Dans le Médoc, on se demande encore pendant combien de temps des ”crus classés” (Classement de 1855, totalement obsolète quand on sait que les territoires, les hommes et les techniques ont évolué depuis plus de 150 ans) peuvent encore se vendre aussi chers : un “simple” Pauillac ou Margaux à 50 euros, ou des “seconds” vins à 100 euros, on croit rêver tant il existe une multitude de vins dans cette presqu’île formidables entre 20 et 40 euros. Le nom, la marque ne sont plus des garanties, même dans les vins les plus chers, et c’est la raison pour laquelle beaucoup se détournent de la région, au détriment de ceux qui proposent un rapport qualité-prix-typicité accessible et décent.
Il faut retenir que, intrinsèquement, un Margaux n’a rien à voir avec un Pauillac (ni même avec un autre Margaux, tant les sols sont différents dans l’appellation), un Saint-Julien doit refléter l’élégance quand c’est la structure qui signe un Saint-Estèphe… Les terroirs signent les vins : graves garonnaises à Saint-Julien, quartz et cailloux roulés à Saint-Estèphe, croupes de graves maigres à Pauillac, graviers et cailloux à Margaux, formation caillouteuse mêlée de sable et d’argile en Médoc… Pourtant, il est parfois bien difficile aujourd’hui de retrouver cela, tant certains crus sont “lissés” par des vinifications sophistiquées.
A Pomerol comme à Lalande-de-Pomerol, on trouve les vins les plus chaleureux de la région bordelaise, où les senteurs de truffe se mêlent à la mûre, à la cannelle, à la cerise ou à la réglisse, la chair s’associant à une texture dense, ample, veloutée, le tout donnant des vins que les propriétaires élèvent à leur image, chaleureuse.
A Saint-Emilion, le Classement « officiel » (rien que le mot fait sourire…) est désastreusement décalé par rapport à la réalité des terroirs. On aura beau dire ce que l’on veut, certains n’hésiteraient pas à parler “scandales, compromissions, copinage”, etc, on croirait parler de politiciens, sic), il n’en est pas moins que, quand on connait les terroirs historiques de l’appellation (l’exceptionnelle carte de Van Leuween, que nous avions publié en son temps dans Millésimes, aujourd’hui “interdite” de publication), on ne peut que tomber dans le désarroi. N’en tenez donc pas compte, l’argent et la frime en sont les clés… Bref, ici, on a accès, soit, à de vrais vins racés, du plus grand au plus abordable, marqués par des sols historiques, soit à des vins surcôtés, où les sols ont peu de réelle influence, beaucoup plus “signés” par des vinifications trop sophistiquées qui donnent, soit des vins très concentrés au détriment de la finesse, soit des vins “sans âme, ni vertu”, dépersonnalisés, à des prix incautionnables. Vous ne les trouverez pas dans notre Guide, ne serait-ce que par respect pour les autres.
Les “satellites”, c’est-à-dire les appellations Montagne, Puisseguin, Lussac et Saint-Georges, regorgent toujours de vins remarquables, dont la plupart sont au même niveau qualitatif, voire bien meilleurs que des Saint-Emilion Grands Crus Classés (toujours selon ce « classement » officiel), mais bien moins chers !
Dans les Graves, il y a d’incontestables vins de très haut niveau, dans une gamme de prix large, mais, globalement, les vins en tête du Classement, bénéficient d’un formidable rapport qualité-prix.
En Pessac-Léognan, également, où l’on peut élever, à la fois, de grands vins rouges et blancs secs, on accède alors à une gamme de prix incompréhensible qui varie de 30 à 150 €, et parfois beaucoup plus. Pourquoi ?
Des prix encore plus accessibles, on en trouve toujours dans les appellations de Côtes. Les propriétaires talentueux se démarquent aisément des autres, et c’est ainsi depuis des décennies. Selon les expositions, les sols, la complémentarité des cépages (Merlot souvent prépondérant), on peut en effet passer du très beau au très simple. De Saint-Vivien-de-Blaye ou Saint-Paul-de-Blaye, de Tauriac à Baurech, de Saint-Magne-de-Castillon à Gabarnac, les meilleurs signent de beaux vins de caractère, puissants ou soyeux, vifs ou suaves.
C’est la même chose en Bordeaux et Bordeaux Supérieurs, où nous soutenons depuis longtemps les efforts accomplis par une poignée de vignerons passionnés qui élèvent des vins qui surprennent lors de dégustations “à l’aveugle”, écrasant parfois des crus beaucoup plus chers et renommés. On accède alors à des vins typés par des sols très différents (on ne fait pas les mêmes vins à Loubens, à Villegouge ou à Génissac), à des prix très abordables.
En Liquoreux, Sauternes en tête, l’équilibre géologique et climatique en fait un milieu naturel idéal pour cette fascinante biologie qu’est le botrytis cinerea. Ces vins rares, du plus liquoreux au plus fin, dont les prix sont largement justifiés quand on connaît les efforts des propriétaires, méritent toujours d’être appréciés tout au long du repas, et pas uniquement à l’apéritif ou sur les desserts (pour avoir des idées d’accords : www.ideevins.com).
La Bourgogne est “la” région où le terroir est omniprésent. Qui ne s’est jamais promené sur la route des crus, comprenant la force des sols de mi-pente, notamment, ne peut pas comprendre ce qu’est un terroir digne de ce nom. Aucun autre vin blanc ne peut rivaliser avec ces Crus (Grands Crus ou Premiers) de Puligny-Montrachet, Meursault, ou Chablis, qui dévoilent une minéralité envoûtante et tiennent 15, 20, 30 ans sans décevoir !
Et, en rouges (superbes dégustations sur place cette année en Nuits-Saints-Georges, Gevrey-Chambertin, Fixin, Auxey-Duresses, Vosne-Romanée, Morey-Saint-Denis, Marsannay, Chambolle-Musigny, Pommard…), pour lesquels certains dégustateurs incompétents n’ont toujours pas encore compris que la couleur ou la concentration n’ont rien à voir avec un réel potentiel de garde, on ne peut qu’exciter ses papilles avec ces crus racés. Les prix sont chers, certes, mais il n’y pas de comparaison entre un Puligny à 100 euros et un Pessac-Léognan au même prix…
En Beaujolais, c’est toujours un vrai plaisir de boire un “canon” avec ces vignerons attachants, qui ont su redonner toute la noblesse à leurs crus, après une époque ou les primeurs qui sentaient tout sauf le vin risquaient de détruire toute l’image de la région. On les a toujours soutenu, et on a eu raison. Les sols comptent ici, autant qu’ailleurs, et on le voit en débouchant les flacons de ces vignerons qui associent talent et convivialité.
En Champagne, c’est l’apothéose ! Celle de certaines grandes maisons, certes, mais essentiellement celle de ces vignerons de talent, qui sont parvenus à faire rejaillir au premier plan la force de leurs terroir (en Côte des Blancs, mais aussi bien avec le travail accompli avec le cépage Pinot meunier). La force des sols est bien réelle ici et vient s’allier à cet art exceptionnel de l’assemblage que chaque vigneron ou maître de chai va marquer de sa “patte”, créant une bouteille unique, que personne n’a réussi à égaler, partout dans le monde. Les cuvées sont plus passionnantes les unes que les autres, à des prix fort sages, chaque cépage est désormais mieux mis en avant selon son territoire, et l’on ne peut que s’en réjouir. On peut ouvrir un Champagne racé à 25 € et jusqu’à 150 € pour des cuvées d’exception, bien moins “chères” quand on les compare aux aberrations d’autres vins tranquilles.
En Languedoc, toutes nos dégustations sur place de l’année ont été formidables, mais pas partout. De Faugères en Minervois, des Corbières à Saint-Chinian, en passant par les Languedoc ou les Vins de Pays (IGP)… on soutient encore et toujours ces producteurs passionnés qui élèvent des vins racés, historiquement marqués par des cépages spécifiques… le tout donnant de vrais beaux vins typés, qui parviennent à un haut niveau qualitatif, en blancs comme en rouges. Les “micro-cuvées”, que l’on pourrait faire soi-même dans son jardin, ne représentent rien d’un vignoble réel et leurs prix sont inadmissibles.
Les meilleurs vins de Provence sont vraiment loin devant les autres, et sont ceux de ces propriétaires qui laissent s’exprimer au mieux les grands cépages de la région (Mourvèdre, Cinsault, Rolle, Ugni blanc…). Alors, dans les trois couleurs, on accède à des vins très parfumés, denses, qui se marient parfaitement avec les plats épicés de la région. Comme en Corse, où les coups de cœur sont réels.
En Sud-Ouest, également, lorsque l’on est un vigneron qui sait mettre en avant son terroir et la puissance de ses grands cépages historiques régionaux, on élève alors, de Gaillac à Cahors, de Bergerac à Madiran… on élève alors des vins racés et charmeurs. De quoi montrer sa propre personnalité quand on en a comme c’est le cas à Cahors ou à Madiran. À quoi bon avoir de beaux cépages de caractère comme le Tannat, le Côt, La Négrette ou le Gros Manseng si c’est pour “lisser” les vins ou ne mettre en avant que le Malbec à Cahors ?
Dans le Val de Loire, nos dégustations sont toujours formidables : la région est en effet garante d’une typicité hors normes, grâce à ses grands cépages spécifiques (Chenin, Sauvignon, Cabernet franc…) qui s’expriment pleinement dans ces terroirs de silex, de tuffeau, de craie marneuse, de marnes kimméridgiennes…, parfaitement “chouchoutés” par ces vignerons passionnés et passionnants, qui s’attachent à conserver une authenticité rare. De Sancerre à Saumur, de Bourgueil à Pouilly, la palette est grande et belle.
Dans la Vallée du Rhône, de Châteauneuf-du-Pape à Vacqueyras, de Beaumes-de-Venise à Vinsobres, de Côte-Rôtie à Cairanne… c’est la grande régularité qualitative qui prime, avec des vins racés, chaleureux, dont le rapport qualité-prix-plaisir est exceptionnel. En blancs, les vins sont de plus en plus séduisants, quant les rouges déploient une authenticité forte, et c’est tout ce que l’on aime. Gare à certains prix dans les appellations du nord et à Châteauneuf, non cautionnables (et pas dans le Guide).
Gare aux dérives, car, on nous fabrique aussi (quel autre mot ?) pas mal de vins “sans terroir“ : concentration, osmose inverse, levures, enzymes, beaux dossiers de presse, termes de dégustations alambiqués… il y a de quoi faire chez certains producteurs, sans s’étendre sur ce que l’on appelle “le boisé alternatif”, ces morceaux de chêne (ou de la sciure, si, si) employés à outrance pour donner un goût à un breuvage. Le vin, cela doit sentir le raisin, pas le bois ! Mais, pour accèder au plaisir, au “goût du vin” comme l’expliquait si justement le grand Emile Peynaud, vous aurez compris que le hasard n’a rien à voir là-dedans, ni la frime, ni la triche.
Cette année, encore, nous avons été les seuls à parcourir autant les vignobles, déguster, partager, prendre des photos, tourner des vidéos…
Des vignerons formidables, il y en a beaucoup en France, dans toute la gamme, du plus grand des grands vins au plus modeste, du plus cher (le prix n’est évidemment pas un gage de qualité, ne l’oubliez pas) au plus abordable. Et ceux-là, ceux qui élèvent les vins dont on a du mal à se passer, ces vignerons, humbles et talentueux, passionnés et passionnants, vous allez les retrouver dans notre Guide !
Merci de votre fidélité.
Patrick, Mélodie et Thibault
Parution la semaine prochaine et réservation en ligne avec dédicace sur le Site : www.guidedesvins.com