Calon-Ségur au sommet

J’apprécie depuis quelque 30 ans Denise Gasqueton, qui, par son attachement à laisser s’exprimer son terroir au mieux, sans artifices, renvoie au jardin d’enfants les producteurs qui ne savent parler que de concentration, surboisage ou micro­bullage à outrance. Elle élève, elle, comme une ­poignée de personnalités bordelaises, un (très) grand cru où la distinction prédomine, un vin lent à se faire comme il se doit (des millésimes comme 89, 82 ou 79 sont grandissimes actuellement). Calon-Ségur est l’un des vins les plus racés de Bordeaux, et bénéficie, pour un tel niveau qualitatif, d’un rapport qualité-prix qui devrait en faire réfléchir plus d’un, ceci expliquant tout naturellement qu’il parvienne au sommet dans mon Classement.

Les références historiques ne manquent pas à Calon, qui doit son nom à une petite embarcation utilisée au Moyen Âge pour transporter le bois d’une rive à l’autre, le village s’appela d’ailleurs Saint-Estèphe-de-Calon pendant longtemps. Le domaine, dirigé par Denise Gasqueton, s’étend sur 94 ha de vignes sur le terroir de Saint-Estèphe, et regroupe les Châteaux Calon-Ségur, Marquis de Calon (seconde marque de Calon) et Capbern Gasqueton, un Grand Cru Bourgeois tout en finesse. Calon-Ségur est un beau vignoble d’un seul tenant, composé des 3 cépages classiques de la région, dans une proportion idéale : 65 % de Cabernet-Sauvignon, 15 % de Cabernet franc et 20 % de Merlot, dont l’âge moyen des vignes est exceptionnel (40 ans). Une vinification très traditionnelle, sous la surveillance de Pascal Ribéreau-Gayon, un élevage d’une durée moyenne de 24 mois avec l’utilisation de 30 à 50 % de barriques neuves chaque année, selon la puissance du millésime, viennent s’associer à une sélection sévère de la vendange pour tirer la quintessence de ce terroir.

La dégustation

Ce Saint-Estèphe 2004 est sûrement l’une des plus belles bouteilles de la région, exceptionnel, de bouche puissante et dense, aux tanins très équilibrés, aux notes de cerise et de réglisse, un vin qui commence à peine à s’ouvrir, dans la plus pure tradition médocaine, un exemple pour beaucoup. Très beau 2003, encore fermé, plus exubérant (c’est le millésime qui veut cela), volumineux, d’une belle couleur pourpre, charnu et parfumé, au nez persistant de petits fruits rouges mûrs, de cuir et de sous-bois, avec beaucoup de matière. Le 2002 est superbe, très classique, une réussite, très puissant, de robe grenat intense, au bouquet complexe où se marient des notes fruitées et de sous-bois, un vin gras et distingué, aux tanins fermes, de garde, bien sûr. Exceptionnel 2001, aux nuances épicées, un vin dense, tout en harmonie, riche au nez, avec ces notes de mûre et d’humus, et des nuances de cuir et de pruneau en bouche, aux tanins fermes, de lente évolution. Le 2000, un grand vin, est encore très jeune, racé, tout en puissance, avec beaucoup de matière, des arômes de fruits rouges surmûris et de cuir, d’un grand potentiel d’évolution. Remarquable 99, qui associe structure et finesse, de couleur grenat, ample et parfumé, bien corsé, aux tanins bien équilibrés, un vin ferme et persistant. Le 98 est un très grand vin, tannique, puissant, concentré mais tout en finesse, très structuré, harmonieux, aux notes complexes (mûre, truffe…), de garde. Le 97 est de bouche fondue, riche, séduisant avec des notes de mûre, très parfumé, très rond, un vin ample au nez comme en bouche, aux tanins mûrs, d’une jolie finale. Beau 96, aux arômes de fruits surmûris, d’épices, de cuir, de couleur profonde, un vin très riche, aux tanins très équilibrés, de garde. Le 95 est particulièrement savoureux, d’une grande intensité au nez comme en bouche (cuir, griotte confite, sous-bois…), gras et dense, un grand vin parfumé, tout en bouche, de grande évolution, vraiment superbe. Prix très sages.