Débat sur AgoraVox : un vin, un vrai


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Sensualité, amitié, saveurs, patrimoine, émotion, partage, mémoire, art de vivre, coutumes, labeur, authenticité, plaisir des sens, convivialité, histoire… les mots et les valeurs sont nombreux pour exprimer ce monde du vin que nous aimons.

De tout temps, les symboles ont été forts, du plus mystique (le Sang de la terre et du Ciel) au plus poétique (Boire du vin, c’est boire du génie), en passant par les valeurs intellectuelles (L’invisible esprit du vin), ou celles plus alimentaires (Bonne cuisine et bons vins, c’est le paradis sur terre). Le vin, celui que nous défendons, ce n’est pas une boisson rouge, blanche ou rosée. Et c’est la raison pour laquelle il faut savoir de quel vin on parle.

Un vrai vin, c’est un vin de terroir

La priorité, c’est de laisser s’exprimer son terroir, en respectant la vigne, en limitant les rendements, en pratiquant la lutte raisonnée ou simplement en laissant faire la nature, qui n’a besoin de personne… Il y a une dizaine d’années le travail des vignes avait été délaissé, et surtout dans certains grands crus bordelais, au profit de la vinification. Si toutes les techniques modernes sont souvent remarquables, les propriétaires traditionnels continuent de faire ce qu’ils savaient faire. Il est indéniable que ces dernières années, on a appris à mieux maîtriser les vinifications et, surtout, à ne plus faire de mauvais vins… on arrive à les arranger.

Mais attention : cela ne veut pas dire que l’on fera des vins typés car la typicité vient du terroir. Cette notion de terroir est indéniable, et cette typicité intervient aussi avec des vins plus modestes, quand on goûte un Menetou-salon “à l’aveugle”, un Saumur, on retrouve le goût du Sauvignon ou du Cabernet franc et celui du terroir adapté. C’est encore plus flagrant et exacerbé quand on déguste des grands crus, très marqués par leur sols et sous-sols, comme dans la Loire, en Bourgogne, à Bordeaux (gare aux “cuvées de garage”, voir plus loin), en Champagne (où l’art des assemblages fait la différence), dans la Vallée du Rhône ou en Alsace.

Les vins standardisés

– D’abord, ce que l’on nomme les vins de cépages. Il est impératif de ne pas mélanger les vins issus d’un monocépage, qui sont, par la force des choses, les premiers concernés et attaqués, et ces “nouveaux” vins de cépages.

Entrons dans le détail. En France, plusieurs régions et appellations (Pomerol avec le Merlot par exemple), produisent de grands vins de monocépage. Pour les régions, prenons le cas de la Bourgogne et de l’Alsace, cette dernière asssociant en plus le cépage à l’appellation. Un riesling, on s’en doute, provient du Riesling et pas d’un assemblage de Riesling et de Tokay. En Bourgogne, le Pommard, le Vosne-romanée, le Corton ou un Volnay sont tous issus du Pinot noir et ne se ressemblent pourtant pas du tout.

Prenez alors ce que l’on nomme un vin de cépage : un Chardonnay d’Auvergne, un Sauvignon américain, un Cabernet-Sauvignon australien, etc. La différence est incontestable. Un vin de cépage est donc un produit marketing qui vise à séduire une clientèle en l’attirant avec la mention d’un cépage prestigieux. Le consommateur lambda, celui qui passe d’un soda à la bière, ne peut être que flatté et rassuré de lire le mot Chardonnay sur une étiquette. Tous ces “ersats” qui portent le même nom de cépage se ressemblent : ils sont standardisés et aucune différence ne sépare un vin produit en France d’un autre produit au Chili ou en Nouvelle-Zélande. On voit bien qu’ils sont plantés dans des pays “neufs” en matière de vins ou dans des régions où l’on peut se procurer des terrains à bas prix. Ils sont standardisés par leur cépage (et encore, il faudrait distinguer les porte-greffe) et par leur vinification, voire un matraquage en barriques neuves. Ce sont des vins de boissons, rien de plus.

Les vrais vins typés

A contrario, un vin digne de ce nom, et lui également monocépage, n’a rien à voir et ne concourt pas du tout dans la même catégorie. Première précision : le prix n’est pas à prendre en compte. Il y a des vins standardisés qui valent plus cher qu’un Chinon (monocépage Cabernet franc ou qu’un Sancerre, monocépage Sauvignon), et même, et c’est un comble, encore plus cher que d’autres appellations plus réputées.

Ce qui m’agace, c’est que les “marchands” osent dire qu’un simple vin blanc issu du Sauvignon ou du Chardonnay peut être comparé avec nos vins d’appellations où le terroir entre en scène d’une façon indubitable. Est-ce de l’ignorance ou de la mauvaise foi ? Qui peut oser dire qu’un Pouillly-fumé provenant d’un sol de calcaires portlandiens, qu’un Chablis marqué par un sous-sol kimméridgien, qu’un Gewuztraminer racé par ses sols de marnes de l’oligocène (comme à Éguishein, par exemple) a le même goût qu’une bibine du même cépage planté dans des terres à maïs ou dans des pâturages ? On sait déjà que deux grands vins typés monocépage plantés à quelques dizaines de mètres ne se ressemblent pas (un Gevrey-chambertin Saint-Jacques et un Gevrey-chambertin Les Cazetiers par exemple)… Imaginez l’abîme qui peut séparer les autres.

Mélanger cela, c’est mélanger en effet “les torchons et les serviettes”, c’est faire fi de toute l’histoire géologique, de l’héritage des générations passées, bref, de la civilisation. Pour faire simple, c’est aussi navrant que de comparer Rembrandt à un “peintre” qui barbouille trois lignes de couleur sur une toile (il y a pire dans ce domaine), le génie d’un Mozart à un “chanteur” qui se dandine dans une émission de variétés, une épée de Tolède à un couteau de cuisine ou un meuble Boulle à du contreplaqué…

Bien entendu, si j’ai tenté d’expliquer le monde qui sépare les grands vins monocépages de France et les petits vins de cépages, il faut tout aussi faire entrer dans les vrais vins typés que nous aimons, tous les autres crus de nos régions qui sont issus de plusieurs cépages. S’ils sont moins copiés, c’est parce que c’est plus simple de “vendre” un seul nom de cépage que de mettre sur une étiquette “Merlot, Cabernet-Sauvignon, Malbec” ou “Mourvèdre, Grenache, Syrah” ou “Bourboulenc, Maccébéo, Marsanne”. La complémentarité des raisins s’exprime au mieux dans les grands vins du Bordeaux (Médoc, Graves, Saint-Émilion, Côtes…) à Châteauneuf-du-Pape, à Bandol, dans le Sud-Ouest ou en Languedoc.

On en vient à l’extrême prudence qu’il faut avoir sur ces vins de cépages (à quoi bon planter du Gewurztraminer en Languedoc ? ) comme sur les vins qui, faute de terroir, ne peuvent s’exprimer qu’au travers d’éléments extérieurs, en l’occurrence des vinifications trop techniques qui les dépersonnalisent, ou l’usage abusif de la barrique neuve.

Autre question : est-ce qu’un vin doit avoir le goût de fumé, de bois blond (sic), de tabac, de torréfaction, de goudron ou de bonbon anglais ? La réponse est non quand il s’agit d’artifices et d’arômes pas naturels. On ne retrouve ce genre de complexité que dans des vins parvenus à maturité (10, 20 ou 30 ans selon la force intrinsèque de chaque millésime) où la subtilité aromatique peut alors tendre vers ce type d’arômes secondaires et tertiaires. Sentir un vin jeune qui n’exhale que ce type d’arômes ou de saveurs prouve que le vin est bien souvent issu d’élevage “à la mode”. Pour exemple, le goût de brûlé est dû au goût habituellement donné par des barriques neuves qui ont été chauffées intentionnellement pour apporter ce style de parfums. Idem pour le goût de vanille, aussi naturel que le goût de banane que l’on avait retrouvé une année dans les Beaujolais.

La cuvée spéciale

La cuvée spéciale ou de prestige d’un producteur est en fait une sélection par rapport à sa cuvée traditionnelle (ou son second vin). Cest un plus, si l’on reste dans des limites de production raisonnable et si le premier vin correspond à une sélection sereine. Si un “Premier Grand Vin classé” de Bordeaux était issu seulement des 5 ha sur les 50 de son vignoble, il pourrait être considéré comme un “vin de garage”, sa marque et sa renommée ne correspondant plus à la majorité de son vignoble, pour laquellel il doit être jugé. Il faut se méfier des ‘troisièmes” vins (voire des “quatrièmes”), qui ne servent bien souvent qu’à gonfler le “premier” vin, le plus connu et donc le plus cher.

Le vin de concours

Des critiques dégustent un vin en recherchant uniquement des sensations primaires et immédiates, oubliant qu’il faut le laisser s’exprimer avec tel ou tel mets. Un grand vin a besoin d’évoluer, de s’épanouir, de s’exprimer aussi dans le temps. S’extasier sur un Grand Cru Classé de Saint-Estèphe ou de Saint-Émilion, millésime 2006, alors que le vin ne sera à sa maturité que dans plusieurs années, c’est être ridicule, comme l’est le fait de goûter le dernier millésime quatre mois après sa récolte. On peut le faire pour un beaujolais, pas pour un pauillac, le premier étant vinifié pour être bu rapidement et gouleyant, le second n’ayant même pas encore commencé son élevage…

Ne croyez-vous pas qu’il y a de quoi rire quand un “confrère” se permet de noter un margaux ou un pomerol sans savoir ce qu’il donnera ? Ce n’est que de l’esbroufe. On se trouve face à des vins dont l’unique but est de rafler des étoiles et des notes de “95 sur 100” (et plus, hélas) donnés par un “critique”américain, par exemple.

Idem pour le vin de garage. C’est une nouvelle fois dans la région bordelaise, et surtout dans le Libournais que l’on trouve ces “erzats”. Je vous renvoie à l’article sur la région de Saint-Émilion pour mieux comprendre l’absurdité de ces vins totalement fabriqués, où l’on fait fi de la nature. Certains producteurs (le mot convient-il ?) rêveraient de mettre leur vignes sous serre…

Pour faire un bon vin, c’est simple : il faut un terroir convenable, pas obligatoirement un superbe terroir évidement, tout le monde ne peut pas en avoir, des cépages très appropriés et non pas uniquement des cépages à la mode, parce qu’ils poussent plus facilement et sont plus faciles à gérer. On a toujours dit que le troisième millénaire serait religieux, ce sera surtout le siècle du terroir, on pourrait alors dire que le prochain millénaire sera celui des vins de “terroir contrôlé”. Un retour au respect de la nature, un partage avec sa famille, ses amis. Les époques sont difficiles et on a besoin de se faire plaisir ; un jour, on part en voyage, un autre, on ouvre une bouteille sympathique. L’important, c’est de déboucher un Chinon et de s’apercevoir qu’il ne ressemble pas à un Côtes-de-Bourg (et vice-versa), un Pomerol sans le confondre avec un Pauillac, un Meursault qui décline les nuances de ses terroirs (Charmes…), un Brouilly qui ne ressemble pas à un Chénas, ou un Châteauneuf-du-pape à un Bandol. Le plaisir du vin ne se résume pas à le boire. Il faut en parler et en rêver. Le vin n’est pas une boisson comme une autre. Un vin “colle” à son propriétaire. Le monde du vin n’est donc pas le même partout. D’un côté les marchands, de l’autre les passionnés.