– GUIDE DES VINS 2015 : CE QUE VOUS DEVEZ SAVOIR POUR NE PAS VOUS FAIRE AVOIR !

COUV guide 2015_Mise en page 1La qualité actuelle des vins et des millesimes

Brigitte Dussert : la passion des hommes, la qualité des millésimes, l’authenticité, les différences entre chaque vignoble, entre chaque vin, c’est bien le fond du problème, non ?

Patrick Dussert-Gerber : depuis vingt ans, il y a pas mal de “faiseurs”, du côté des producteurs comme dans celui de professionnels (critiques, œnologues), qui se plaisent à encenser des vins qui n’ont pourtant “ni âme, ni vertu”.

Depuis mes débuts, j’entends des “critiques” dénigrer, par exemple, ces vins rouges bourguignons qui manqueraient de couleur, de puissance, etc… Et alors ? Qui a dit que la densité d’un vin était un symbole de qualité ou un gage de longévité ? A ces ignorants, on pourrait faire sentir un 1993, 1989, un 1976…, bien plus fabuleux qu’un vin à la mode, ultraconcentré au départ et vide de toute substance au bout de quelques années…

Plusieurs facteurs sont à prendre en compte :
 

L’arrivée d’investisseurs, fuyant l’Isf, n’a pas été forcément un bien pour telle ou telle appellation, et, encore moins, pour les vignerons de souche, qui ont de plus en plus de mal à transmettre leur patrimoine quand les prix des terres s‘envolent littéralement. Sur le plan marketing, main dans la main avec quelques professionnels bien payés, on a aussi vu, parfois, s’estomper la force du terroir pour en arriver à la production de vins standardisés, vite bons à boire, vite commentés, encore plus vite encensés, notés 19/20, 99/100… et je ne sais quoi comme autre ineptie !

Naturellement, il y a, heureusement, des vrais amateurs de vins qui investissent dans les vignobles, mais vous verrez qu’ils se font beaucoup plus discrets, et c’est tant mieux. Quant aux investisseurs institutionnels, en fait, et contrairement à ce que l’on aurait pu croire, ils sont beaucoup plus tempérés dans leur soif d’apparence.

– Le suivi des générations n’a pas été forcément porteur. C’est vrai à Bordeaux comme dans laLoire. Je connais tant de vins superbes à l’époque des parents (ou grands-parents), devenus aujourd’hui beaucoup moins captivants, même si, je le reconnais aisément, on parle plus d’eux qu’auparavant. Mais à quoi bon, si le vin ne suit pas ?

– Découlant de cela, on peut distinguer des tendances selon les vignobles :

* La Bourgogne et l’Alsace demeurent les entités viticoles où la famille joue vraiment un rôle prépondérant. Pas facile pour un quidam d’acheter un vignoble dans ces régions.

* Dans une moindre mesure, les prix n’étant pas non plus les mêmes, on peut citer le Val de Loire et la Vallée du Rhône, où les traditions familiales restent ancrées dans leur territoire.

* La Champagne, riche, prospère, et, comme nous le verrons, bénéficiant d’une explosion qualitative réelle, voit de nouvelles maisons, coopératives et des vignerons (certains, que vous ne trouverez pas dans le Guide, atteints par “la grosse tête”) parvenir au sommet, voire dépasser pas mal de maisons “historiques”. C’est flagrant quand on fait des dégustations “à l’aveugle” et c’est indubitable quand on fait intervenir le rapport qualité-prix-typicité. Certes, l’aura des grandes maisons semble rester stable puisque leur notoriété est toujours importante.

* Bordeaux, le Languedoc et la Provence sont donc les régions qui ont attiré le plus d’investisseurs. La Provence, pour son climat et la beauté des propriétés, le Languedoc pour la sagesse des prixdes terres, Bordeaux pour son influence extraterritoriale et la facilité de créer des vins ”à la mode”. Ceci, bien entendu, au détriment de l’immense majorité des vignerons de ces régions, passionnés, passionnants, peu enclins à élever des vins pour être mieux notés que leur voisin… Et, je le rappelle, tout spécialement à Bordeaux, des bouteilles que l’on a de plus en plus de mal à situer dans des dégustations.

Car, qu’on le veuille ou non, un millésime 2004 qui ressemble au 2005 ou au 2006, ce n’est pas normal. Comme un Médoc qui ressemble à un Pessac-Léognan. En faisant des vins surboisés, surmaturés, on tue bien sûr l’élégance, mais on lisse surtout l’effet millésime, en faisant des vinsdépersonnalisés, pas plus intéressant qu’une boisson chimique.

On vendange de plus en plus mûr, ce qui est une bonne chose, mais si, en plus, on utilise des concentrateurs, ajoute des levures… et pratique un élevage abusif en barriques neuves, cela donne des vins trop lourds, trop écœurants, trop alcoolisés… alors que ce n’est pas dans l’air du temps ! Et cela n’a rien à voir avec le réchauffement climatique comme certains le prétendent…

En fait, il faut dire la vérité sur la qualité de chaque millésime. L’explication, en partie, de l’une des facettes de la crise des vins de Bordeaux, c’est que certains grands crus ont vendu bien trop cher en primeur le 2007. Ce n’est qu’un millésime sympathique, très agréable, bon à boire rapidement, qui commence à s’ouvrir, et c’est déjà pas mal, mais il aurait dû coûter bien moins cher ques les 2005 et 2006… Il faut que le prix du millésime corresponde à la qualité du vin pour que le marché reste confiant,   les acheteurs ne sont pas si idiots. En Bourgogne, dans la Loire ou dans le Rhône, on ne vend pas un 2007 plus cher qu’un 2005, autrement dit on ne spécule pas le prix de sa bouteille au “loto” des millésimes.

On l’a compris, nous faisons face à deux mondes du vin : celui, mercantile, presque virtuel, qui profite de la méconnaissance des acheteurs, notamment des pays émergents, et se sont coupés des acheteurs fidèles et traditionnels (français, belges, suisses, anglo-saxons…). Ils pratiquent la fuite en avant, faute de bases de commercialisation stables. Pour eux, il faut sans cesse trouver un nouveau marché pour caser sa marchandise; et les autres, les producteurs passionnés, passionnants, qui, qui ont, on s’en doute, nos préférences…