Le vin, celui que nous défendons en tout cas, est une entité à part entière, magique, unique, qui associe l’inné et l’acquit, le talent et la passion, le ciel et la terre, l’homme et la science, le matériel et l’irrationnel, la poésie et le savoir, le plaisir et la mesure (si l’on a soif, on boit autre chose)… Il y a, pour accéder à cela, deux valeurs, intimement liées, que certains “winemakers” tentent de nous faire oublier :
– une culture. Celle du vin s’exprime de plusieurs façons. En premier lieu, il faut respecter la nature. C’est elle qui a modelé des territoires, formé des strates, créé l’érosion, apporté des alluvions… Qui peut nier la force d’un terroir de silex à Sancerre, des calcaires marins à astérie à Saint-Émilion, des galets et de l’argile à Châteauneuf-du-Pape, de la craie en Champagne, du calcaire enrichi de marnes rouges à Gevrey-Chambertin, des graves et de l’alios à Léognan ou des marnes du lias en Alsace… ? Cette nature, enrichie d’altitudes et de climats spécifiques (l’influence océanique est forte en Médoc, le mistral souverain en Provence, les bois et forêts protecteurs en Champagne…), il faut donc l’entretenir, la respecter, la mettre en valeur au travers d’une écologie évidente. L’homme n’intervient qu’après. Il a le choix : soit il se prend (très) au sérieux, plante n’importe où, mise sur les sophistications œnologiques, multipliant les “jus de confiture”, bref, fait un “produit”, blanc, rouge, mousseux ou rosé, et parfois à des prix inadmissibles. Soit (on se doute que c’est celui-ci qui a notre préférence), le vigneron fait partie intégrante de son terroir, s’efface devant lui en le laissant s’exprimer, maîtrisant les techniques modernes qui sont alors les bienvenues quand elles ne viennent pas “aseptiser” les vins. Évidemment, il s’agit d’abord d’avoir un terroir digne de ce nom… ceci expliquant peut-être cela. Le vin, c’est donc le reflet d’un état d’esprit.
– une éthique. Eh oui, il faut avoir une éthique, aujourd’hui plus qu’hier. En-dehors d’une éthique de la vigne, il y a une éthique morale. On ne peut pas accepter l’arrogance de quelques propriétaires (vous n’en trouverez pas beaucoup dans MILLÉSIMES) face à la crise sociale que connaît (comme d’autres secteurs) le monde du vin en France. Chacun doit être rémunéré et la solidarité doit primer. Le prix n’entre pas en cause, c’est l’état d’esprit qui compte : on peut être riche et savoir partager, élever le plus grand vin du monde et rester modeste, promouvoir sa région avant d’aller chercher ailleurs. C’est cela, qui mérite le respect. L’exception confirmant la règle, un vin doit donc avoir un prix cohérent. Exit les dossiers de presse dythirambiques, la mode, l’exubérance, la frime, les réputations galvaudées… Ce qui compte, c’est le vrai rapport qualité-prix-plaisir. On revient à la culture, aux traditions, à l’humilité. C’est aussi vrai pour notre société, où l’effort doit être encore plus récompensé. Le talent, le travail, le sens des réalités sont les clés du succès et du bien-être. En fait, pour faire un bon vin, et à fortiori un grand cru qui devient un exemple à suivre, il faut simplement aimer la vie et les autres, respecter la nature et ses clients, prendre plaisir à “boire un canon” sans ouvrir son tiroir-caisse, savoir partager, communiquer, investir…
Si beaucoup de pays nous copient, c’est que nous sommes toujours les meilleurs. Aucun ne peut cumuler une telle spécificité de terroirs, nos traditions gastronomiques, notre savoir-faire ancestral. À nous de le prouver, de se remettre en cause quand il le faut. On sait le faire, et les vignerons dignes de ce nom n’ont pas besoin de “gourous” qui prêchent la standardisation en croyant être “modernes”, alors que notre avenir, notre richesse, c’est notre diversité, du plus grand des grands crus au plus modeste. Ces hommes et ces femmes du vin, qui travaillent le plus souvent d’ailleurs en famille (comme nous) : on les apprécie, on les soutient car nous partageons ces valeurs communes. C’est aussi cela, avoir un esprit sain.