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Extrait de l’Edito : comprendre le « bashing » des grands crus de Bordeaux

Bordeaux est fier d’une spécificité : les primeurs, ou l’art de juger des vins qui “n’existent” pas encore ! Une vraie galéjade si cela n’allait pas entraîner une politique de prix purement spéculative, et, forcément, une uniformisation des cuvées présentées aux “dégustateurs”. Car donner son avis sur un millésime d’un vin qui se veut “grand” (et qui aurait donc un réel potentiel d’évolution) quelques mois après les vendanges, c’est une rigolade. On se trouve face à des vins non finis dont le but est de rafler des éloges pour pouvoir se vendre vite et chers. Il va pourtant rester de longs mois aux œnologues pour doser des levures, maîtriser le bois (en barriques ou en copeaux)…

Mais, cette année, on a vu des crus proposant leur vin à – 30 %, parfois plus. Il fallait s’y attendre : à force de croire que l’on était une référence, de prendre les consommateurs pour des idiots, d’amasser le maximum de hausse (2 euros de plus pour 100.000 bouteilles, cela fait déjà 200.000 euros de gagnés), on est forcé de revenir sur terre.

Finie l’esbroufe aux Chinois, la facilité du marché américain, fallait mieux miser -aussi- sur la vieille Europe où les amateurs avaient une belle image des grands Bordeaux.

A l’inverse de la Bourgogne (et de la Champagne), les vins les plus chers de Bordeaux n’ont jamais été de vraies “locomotives” pour les autres. Et le négoce bordelais est un négoce acheteur et non pas éleveur, c’est-à-dire qu’il n’aide en rien les petits producteurs. Sauf à faire des cuvées de bas de gamme pour la grande distribution.

Deux mondes s’opposent : les marchands, négoce et propriétaires/investisseurs et les vignerons avec des vins, dont beaucoup souffrent d’un prix d’achat misérable imposé au tonneau, une crise sociale particulièrement importante aujourd’hui qui les a forcé à arracher quelque 20.000 ha de vignes… Seuls ceux qui ont pris leur distribution à leur compte (ventes directes, cavistes…) s’en sortent.

On n’aura pas la méchanceté de parler des rares bouteilles qui se flattent de dépasser les 800 ou 1.000 euros (et beaucoup plus pour des millésimes plus anciens), qui n’impressionnent plus personne de censé, et on leur souhaite un bel avenir dans la jet-set des youtubeurs, des influenceurs ou du rap.

Beaucoup de grands noms n’attirent donc plus les foules ni les conversations. Il n’y a plus d’engouement, une sensation de s’être fait avoir, une uniformisation du goût, un lissage des terroirs, la voilà, la véritable raison du “bashing”. Des “grands” crus médocains ou de Pessac-Léognan et Sauternes dont certains ne conservent que l’historique. Sans parler de l’image désastreuse que le Classement “officiel” de Saint-Émilion a véhiculée.

Cela fait quand même 2 à 3 décennies que nous l’avions annoncé : Parker, la frime, le bois à outrance, l’argent, les chais en marbre, les jalousies, l’uniformisation, la fuite à l’export, les exagérations œnologiques, cela ne pouvait donner que ce résultat. Et c’est la raison pour laquelle nous avions décidé de ne plus cautionner cela, éliminant pas mal de crus connus. Nous sommes attachés à une éthique et aux propriétaires qui respectent le consommateur. Plus l’on s’éloigne d’une relation avec ce dernier, plus l’on se dirige dans une logique de vin aseptisé, sans âme. Et l’on trouve beaucoup trop de cuvées entre 50 et 150 euros… qui ne les valent pas.

Franchement, quel dommage ! On a tellement aimé les figures qui ont fait l’image des grands crus du bordelais, nous faisant rêver quand on débouchait avec eux une de leurs bouteilles, avec humour, humilité et plaisir. Forcément, les vins, les mentalités, les dirigeants… ne sont plus au niveau, tant ces hommes et femmes ont marqué la grande époque de Bordeaux : la “générale” de Lencquesaing à Pichon-Comtesse, Jean-Louis Charmolüe (Montrose), Jean-Michel Cazes (Lynch-Bages), Jean Sanders (Haut-Bailly), Jean-Bernard Delmas (Haut-Brion), Henri Lurton (Brane), la famille Gasqueton (Calon-Ségur), Jean-François Janoueix (La Croix), Anthony Barton (Léoville), Jean-Eugène Borie (Ducru) et d’autres… Nulle nostalgie en pensant à eux, seulement des souvenirs de partage comme on n’en fait plus. Ceux-là ont fait la juste renommée de quelques-uns des plus grands vins rouges du monde, sans arrogance ni avidité. Ils avaient ce fameux “goût du vin”. Mais çà, c’était avant !

En face, et tant mieux, ces “petits” vignerons, toutes appellations confondues, ont analysé leurs sols, investi, motivés et talentueux. Aujourd’hui, c’est eux qui font la vraie richesse pour les consommateurs : à Pomerol ou à Margaux avec des bouteilles à 30 euros, à Saint-Émilion et ses satellites, dans les Côtes, les Graves, les Bordeaux, en Médoc… Il est là, le vrai vigneron bordelais !