Brigitte Dussert : le snobisme, l’arrogance, dans les vins comme chez certains « critiques » ou œnologues… ne semblent pas être votre « tasse de thé » .
Patrick Dussert-Gerber : On peut être (très) riche et humble, renommé et passionnant. Et on peut être tout aussi modeste et « imbuvable ». L’argent n’a rien à voir avec cela, c’est une question de culture, d’éthique.
J’ai appris la dégustation avec deux (très) grands maîtres : Jacques de Loustaunau de Guilhem et Emile Peynaud, sans parler de Jacques Puisais ! Ils m’ont appris l’humilité : on dégustait le même vin (sans le savoir) dans des conditions différentes : dans le noir, avec du jazz en fond, puis avec des murs blancs ou jaunes, du Mozart ou des variétés, dans des verres différents, etc : tous les sens étaient en éveil, c’était formidable de voir à quel point nous sommes sensibles aux éléments extérieurs, vraiment des expériences exceptionnelles qu’un bon nombre de rigolos actuels feraient bien d’approfondir.
Aujourd’hui, ce ne sont plus des journalistes mais des… attachés de presse ou des “hirondelles” (terme désignant un habitué des buffets de presse ou des invitations dans les châteaux)! Passons.
Bref, moi, personne ne me voit dans ces sauteries bienveillantes où tout est beau tant qu’on est invité : c’est moi qui règle mes frais de déplacements et personne ne me loge ni ne me nourrit…
Et puis, on ne se refait pas : j’aime les vignerons qui se retroussent les manches, font des salons, accueillent à la propriété et dialoguent avec leurs clients. On l’a bien vu avec la crise : les producteurs qui informent et ménagent leur clientèle n’ont pas été touchés, et c’est bien normal. Autre exemple : un vigneron digne de ce nom qui parcoure ses vignes en bottes sait très bien qu’il ne faut pas mettre trop de pesticide, connaît la culture raisonnée et raisonnable, cela fait une vingtaine d’années qu’il en a pris conscience. Ce n’est pas parce que le bio est à la mode, il le faisait naturellement auparavant, mais n’en parlait pas. Mieux vaut s’en tenir à la passion plutôt qu’à la frime, à la recherche de son authenticité plutôt qu’à la désinvolture de ne faire qu’un bon produit, “sans âme, ni vertu”. Un vin Corse, c’est aussi bon qu’un Pauillac, un Sancerre qu’un Meursault, un Châteauneuf qu’un Pomerol, la liste est infinie, et la raison est toute simple : c’est nous qui avons besoin de goûts différents selon le moment, le temps, les mets, notre humeur. Chaque vin a sa place, à tel endroit, dans telle situation.
Contrairement à d’autres, je ne bois pas uniquement des vins chers que l’on m’offre… Pour moi, un grand vin, c’est un vin authentique, qui correspond à un moment donné, à un état d’esprit. On peut prendre autant de plaisir avec un Minervois, un Alsace, un Chénas ou un Touraine qu’avec le plus beau Pomerol ou Meursault, à partir du moment où chacun est typé. Il y a des occasions, des moments pour boire chaque type de vin. On ne boit pas le même vin seul en rêvant au cosmos, qu’avec des amis, ni le même vin sur une terrine ou un plat sophistiqué. C’est la grande force de notre pays : avoir une gastronomie aussi riche que ses vins, c’est formidable ! Avec nous, l’Italie est le seul autre pays au monde à pouvoir revendiquer cela. Ce n’est pas rien.
Que l’on ne s’y trompe pas : tout est lié. Soit vous êtes un vigneron passionné et devenez alors passionnant pour un consommateur, soit vous êtes un producteur imbu de lui-même et personne n’a envie de “boire un canon” avec vous. Dans le premier cas, vous croyez en la nature, en votre terroir, en votre histoire et vous mettez à leur disposition les progrès œnologiques. Dans l’autre cas, vous lissez les millésimes, faites du vin comme on ferait du soda, une cuvée pour les femmes, une autre pour les jeunes, une autre pour les chinois, etc…
Ceux qui partagent la même éthique que moi, vous les retrouvez dans Millésimes et dans mon Guide, je connais leur courage et leur détermination en sachant que ce n’est pas toujours facile pour eux. Ils sont plus discrets, plus humbles devant la nature mais, croyez-moi, ils vendent tout aussi bien que ceux qui pourraient poser en se prenant pour des stars dans un magazine people…
Découlant de cela, on peut distinguer des tendances selon les vignobles :
* La Bourgogne et l’Alsace demeurent les entités viticoles où la famille joue vraiment un rôle prépondérant. Pas facile pour un quidam d’acheter un vignoble dans ces régions.
* Dans une moindre mesure, les prix n’étant pas non plus les mêmes, on peut citer le Val de Loire et la Vallée du Rhône, où les traditions familiales restent ancrées dans leur territoire.
* La Champagne, riche, prospère, et, comme nous le verrons, bénéficiant d’une explosion qualitative réelle, voit de nouvelles maisons, coopératives et des vignerons (certains, que vous ne trouverez pas dans le Guide, atteints par “la grosse tête”) parvenir au sommet, voire dépasser pas mal de maisons “historiques”. C’est flagrant quand on fait des dégustations “à l’aveugle” et c’est indubitable quand on fait intervenir le rapport qualité-prix-typicité. Certes, l’aura des grandes maisons semble rester stable puisque leur notoriété est toujours importante.
* Bordeaux, le Languedoc et la Provence sont donc les régions qui ont attiré le plus d’investisseurs. La Provence, pour son climat et la beauté des propriétés, le Languedoc pour la sagesse des prixdes terres, Bordeaux pour son influence extraterritoriale et la facilité de créer des vins ”à la mode”. Ceci, bien entendu, au détriment de l’immense majorité des vignerons de ces régions, passionnés, passionnants, peu enclins à élever des vins pour être mieux noté que leur voisin… Et, je le rappelle, tout spécialement à Bordeaux, des bouteilles que l’on a de plus en plus de mal à situer dans des dégustations.
Plus l’on s’éloigne d’une relation avec ce dernier, plus l’on se dirige dans une logique de vin aseptisé. Il faut qu’il y ait un échange, un retour avec l’acheteur. Il y a un vrai monde virtuel du vin qui s’est créé, certains ne savent même plus si leur vin est apprécié, qui le diffuse, qui le boit…
Et tout s’enchaîne : si vous êtes en contact avec celui qui boit votre vin, il est aisé de lui expliquer que, par exemple, le 2007 est meilleur à boire aujourd’hui qu’un 2010, loin d’être prêt. Il ne s’agit pas de dire que l’un est meilleur que l’autre, cela ne veut rien dire. Tous les vins sont bons dans le temps, chaque millésime a son potentiel d’évolution. Vous retrouvez cela dans ma Vintage Code.
La carte des millésimes
Brigitte Dussert : que faut-il vraiment savoir sur les millésimes ?
Patrick Dussert-Gerber : depuis 15 ans, il n’y a plus de mauvais millésimes, il n’y a que des millésimes plus délicats que d’autres. Les techniques ont évoluées dans le bon sens, les vigneronssavent parfaitement anticiper, gérer leur vignoble.
Néanmoins, il faut savoir expliquer la spécificité de telle ou telle année. Quand on goûte des 2002 ou 2004 en Médoc, ils sont meilleurs que le 2003 pour lequel tout le monde s’enthousiasmait ! Le 2004, par exemple est un millésime formidable qui a eu mauvais presse à l’époque de la part de critiques qui ne connaissent pas grand chose au vin. Ceux-là, je ne les vois d’ailleurs jamais dans les vignobles de la vallée du Rhône, à Madiran, à Bandol ou à Saumur… ils sont pour la plupart invités dans les grands châteaux bordelais et s’en contentent. Sympa pour les milliers de vignerons talentueux des autres régions, non ?
Quand je lis de telles âneries, je me demande si ceux qui les écrivent ont jamais dégusté des millésimes plus anciens. C’est pourtant la seule garantie qui permet de relativiser, de comprendre et de se référer à une mémoire du vin. Les mêmes vont répéter ce qu’on leur a concocté dans un dossier de presse bien ficelé…
Pour revenir à la force des millésimes, il est incontestable que le 2009 est certainement le plus beau millésime qui soit, classique, à l’inverse d’un 2005, grand, certes, mais aussi atypique à cause de la chaleur intensive. En 2009, l’acidité est également présente, ce qui apporte cet équilibre entre la puissance et l’élégance, cette fraîcheur naturelle qui signe les vrais grands vins. Il est bien trop tôt pour en parler, et l’on sait que je ne rentre pas dans le jeu des “primeurs” (encore Bordeaux) qui va bientôt rivaliser avec le salon des devins et cartomanciennes… tant on va noter un vin qui n’existe pas encore ! Ce n’est que du business, il n’y a aucun « amour du vin » en la matière…
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