* En 2009, nos vignerons ont encore plus de talent qu’il y a 30 ans !

Brigitte Dussert  : Région par région, que s’est-il passé en trente ans ? Prenons l’Alsace.

Patrick Dussert-Gerber :  : Ce qui a changé globalement dans cette belle région, c’est que l’on goûte pas mal de vins à la sucrosité trop importante au détriment de la minéralité et de la fraîcheur. Je regrette un Riesling vif, franc, à déguster sur des huîtres, j’aime moins quand il est plus gras, par exemple en 2004 et 2002, qui sont, pourtant des millésimes classiques, cela n’est pas normal. Heureusement, il y a des propriétaires qui s’appliquent à faire ressortir la typicité de leur terroir. Il ne faudrait pas qu’on assiste à un “lissage” de ces grandes appellations ou accentuer la mode des vins trop mûrs qui dépersonnaliseraient la spécificité des cépages et des sols. D’autant que la multiplication des noms de crus, clos, lieux-dits… ne simplifient pas la lecture de l’étiquette.

B. D. : En Beaujolais ?

P. D.-G. : C’est un vignoble où il n’y a pas eu de bouleversement flagrant, même si les vignerons connaissent une crise tenace avec des vins qui ne sont pas assez rémunérateurs. Seuls les Crus résistent bien. Le Beaujolais Nouveau est une belle réussite mais on observe une certaine lassitude, il faudrait relancer la communication. C’était une idée géniale, dont j’ai suivi l’évolution année après année. Au début, tout le monde se moquait d’eux, mais le négoce a su lancer la mode d’un vin qui se vendait en 24 heures donc très intéressant financièrement, doté d’une forte image de marque de vin très chaleureux, très convivial, attendu à date fixe, c’est formidable !  Chaque année, c’est la fête du Beaujolais Primeur et les fidèles de l’évènement vont s’encanailler dans les bistrots à vin du monde entier, c’est très sympa, je suis le premier à y aller ! Un Beaujolais Primeur, c’est un vin qui ne se prend pas au sérieux, friand, franc, gai, simple, qui a toujours un bel avenir devant lui car on aime déboucher de temps en temps un vin léger.

Bien sûr, je ne vous cache pas que je préfère me faire plaisir avec un Morgon ou un Saint-Amour, tant ces crus du Beaujolais méritent d’être appréciés comme il le faut. J’ai toujours soutenu les vignerons de la région, au moment où ils subissaient quelques scandales ou la jalousie des autres vignobles, qui n’ont, il faut bien le reconnaître, pourtant jamais réussi à faire de leurs vins primeurs des concurrents sérieux (Touraine, Gaillac…).

La fidélité, c’est important. Il faut du temps pour juger un vin, comprendre le vigneron, l’influence des micro-climats, les us et coutumes de chaque région.

B. D. : En Vallée du Rhône ?

P. D.-G. : Le vignoble est très étendu, il faut  donc être précis. Les Côtes-du-Rhône, par exemple, ont fait de gros efforts, on ne trouve plus de mauvais vin (tout comme pour le Bordeaux de base d’ailleurs). Pour l’image de marque,  c’est plus délicat,  ils ont du mal à s’imposer, ils font de telles quantités… L’appellation-phare, Châteauneuf-du-Pape, a su raison garder, en conservant l’un des plus beaux rapports qualité-prix-typicité de France. Ce qui a surtout changé en Vallée du Rhône, ce sont les “petites” appellations qui font maintenant des vins exceptionnels entre 7 et 15 €, à Rasteau, à Visan ou à Gigondas où l’on goûte des vins beaucoup plus intéressants qu’à mes débuts. Avant, tout passait en vrac et ce n’était pas la même mentalité.
Maintenant, les caves coopératives (pas toutes) sont très motivées par la qualité et, souvent même, donnent l’exemple ! Ces caves sont très bien équipées, capables de jouer dans la cour des grands. Elles ont eu un vrai défi à relever, et elles l’ont relevé, sans pour autant dépersonnaliser leurs vins, sous prétexte d’un marché mondial, bien au contraire.

Je pense aussi, que le développement de cette région, en grands vins comme en plus modestes, s’est renforcé du fait que Bordeaux a délaissé un peu le marché français, avec ses vins de marques. Pas certain que le choix ait été si judicieux.

Je voudrais attirer l’attention sur des abus de prix : je pense à certains petits vignobles, par exemple Hermitage ou Condrieu, qui se vendent à l’étranger et délaissent le marché français, aucun restaurateur lambda ne pouvant  les acheter à un prix cohérent, c’est regrettable. Quant à la justification du prix de ces appellations, je suis très dubitatif…

B. D. : Cela a été le cas en Bourgogne, quand les bourguignons, il y a une vingtaine d’années s’étaient tournés exclusivement à l’export…

P. D.-G. : C’est vrai. On ne trouvait plus un bon Puligny-Montrachet ou un Meursault en France, il n’y en avait que pour les américains. Le  bon sens “paysan” a repris le dessus et a permis de faire comprendre aux vignerons qu’il fallait faire très attention, et revenir en France, en Angleterre, en Allemagne, en Belgique, en Suisse…

À ma connaissance, c’est le seul vignoble qui a réussi ce tour de force !  Ils vendaient parfois jusqu’à 95% à l’export et sont revenus sur le marché français en rééquilibrant la distribution. À Chablis, c’était le même cas de figure, mais ils ont aussi compris que, si le japonais d’Osaka en visite à Paris ne trouvait pas la bouteille sur la table du restaurant, il se poserait  peut-être des questions…

J’ai un faible pour les Bourguignons. J’aime leur mentalité. Les vignes bourguignonnes sont les plus chères du monde mais les viticulteurs conservent la volonté de transmission à leurs enfants. Ce n’est pas si courant.

Pour les vins, ce qui me plaît en Côte de Nuits ou en Côte de Beaune, c’est justement l’élégance, la finesse. Pour le vin rouge notamment, il ne faut pas confondre couleur et concentration. Ce n’est pas parce qu’un vin est “noir” ou ultra concentré qu’il va être meilleur ou mieux vieillir. Il faut “tordre le cou” à cette idée reçue qui a d’ailleurs été le grand défaut de ces 20 dernières années. On a voulu faire des vins qui n’existaient pas avant prétextant qu’on allait faire mieux !!! Je goûte depuis toujours des vins de Corton, Pommard, Vosne-Romanée ou Gevrey qui n’ont pas une couleur très sombre et qui ont un potentiel de vieillissement de 20 à 30 ans, avec des arômes extraordinaires. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le millésime 2005 en Bourgogne n’est pas un millésime qui me passionne beaucoup, je le trouve trop fort, concentré, trop “chaud”.

Globalement, toute la qualité de la production en Bourgogne a beaucoup augmenté. Dans mes premiers guides, il ne devait y avoir qu’une cinquantaine de vignerons. En quelques années, de toutes petites structures familiales se sont mises à “faire de la bouteille”, avant, tout passait par le négoce comme c’était le cas aussi en Champagne. Le fait que chacun embouteille sa production a précipité le déclin du négoce, il existe aujourd’hui très peu de maisons familiales. Autrefois si bien établi, le négoce a souffert, d’une part, parce qu’il ne possédait pas de vignes propres, et qu’étant tributaire des approvisionnements, on ne lui donnait pas toujours les meilleures cuves… D’autre part, certains négociants -ce n’est pas spécifique à la Bourgogne- avaient une fâcheuse tendance à adopter une suffisance qui n’était pas de mise.

J’ai toujours soutenu les vignerons qui vendaient leur vin en bouteilles, les encourageant à s’acheter petit à petit une cuve, des barriques, à s’appliquer à produire un vrai vin typé, et à faire des salons pour le vendre.



La Cantinière


B. D. : Vous aimez aussi beaucoup le Champagne et la Champagne…

P. D.-G. : La Champagne est le vignoble qui a le plus “explosé” avec la prolifération de propriétaires qui se sont décidés à mettre en bouteilles leur propre production, et je leur donne bien raison.

Auparavant, ils vendaient aux négociants et il n’y avait que 20 à 30 grandes marques de Champagne. C’est plus rémunérateur pour eux et plus valorisant de mettre leur nom sur l’étiquette, plus motivant pour leurs enfants de se battre pour défendre et promouvoir leur entreprise. C’est à mon avis ce qui a sauvé la Champagne et la Bourgogne, cette jeunesse motivée, dynamique, entreprenante, diplômée, qui s’est investie dans le vignoble familial.

Tout comme les Alsaciens et les Bourguignons, les Champenois sont des commerçants avertis, ils vont chercher le consommateur, l’importateur, ne se contentant pas de donner leur production à un négociant et de partir en week-end !

C’est la clé de leur époustouflante réussite.On boit plus de Champagne parce que la qualité est devenue remarquable et abordable, voilà tout !

Beaucoup d’efforts ont été réalisés, les prix sont restés très sages et le consommateur, tout naturellement, a suivi. On trouve d’excellentes bouteilles entre 12 et 15 €. Il ne faut pas les  comparer bien sûrs aux très grandes Cuvées faites avec des vins de réserve exceptionnels et qui valent de fait leur prix (50 € et plus), comparons ce qui est comparable.

En tout cas, c’est ce qui a décidé les consommateurs à en acheter plus, et plus souvent. Ce n’est pas uniquement le mode de consommation qui a évolué, les consommateurs ont réalisé qu’ils se font plus plaisir avec un bon Champagne qu’avec un mauvais Porto ou un Whisky fait on ne sait où ?

Mais, si la force des champenois est d’avoir ainsi maîtrisé leurs prix, c’est sans doute la région au monde où cet effort est le plus visible. Et puis, les Champenois sont remarquablement organisés, solidaires.

B. D. : C’est pourtant un vignoble qui est en train de s’étendre beaucoup : il va donc falloir scinder les différents types de cuvées que l’on va retrouver sur le marché prochainement.

P. D.-G. : Il faudra différencier encore plus les terroirs, comme on le fait pour les vins.

L’extension quantitative du vignoble peut, paradoxalement, permettre une véritable nouvelle perception du Champagne, qui devient un vin de terroir, et non plus uniquement d’assemblage. Il va falloir considérer le Champagne comme un vin à part entière, c’est ce que je fais depuis toujours, mais ce discours n’est pas toujours bien compris de tous.

Il faudra observer le nom du village, parcelle par parcelle, la volonté du vigneron de rechercher l’expression de la minéralité de son sol. Les terroirs exceptionnels (Grand Cru et Premier Cru) vont prouver que le Champagne est un grand vin. Je me bats depuis longtemps pour le faire accepter.



ChateauOnline

B. D. : Quelle est votre relation avec le vignoble bordelais ?

P. D.-G. : Je vis à Bordeaux. N’étant pas masochiste, il faut donc que j’aime la région, et ses vins. C’est la région viticole où il y a eu le plus de changements en 30 ans. Cela a commencé avec la visite des chais en marbre dans le Médoc puis, la mode des barriques, des œnologues, des vins “lissés”… Il y a 20 ans, on ne nous parlait jamais des vignes, uniquement des vinifications ! Ce phénomène s’est déplacé depuis une petite dizaine d’années à Saint-Émilion, où l’on s’est mis à concentrer à outrance, en devenant champion de toutes les manipulations techniques possibles. Je n’arrive pas à comprendre cela.


B. D. : Ne pensez-vous pas que le but était aussi de plaire au goût des consommateurs étrangers ?

P. D.-G. : Si c’est le cas, quelle bêtise ! On ne doit pas dénaturer son vin pour séduire un éventuel consommateur chinois… Cette médiatisation exagérée des vins noirs et très concentrés du Libournais, ce n’est pas la vraie typicité des vins bordelais qui sont pour les rouges, soyons clair, toujours les plus grands vins du monde. C’est l’élégance qui fait rêver, ce ne sont pas les tanins du bois accrochés à la langue !!!

Dans le Médoc, certains ont fait l’erreur, il y a une vingtaine d’années, de vouloir se conformer à la mode, résultat : on ne parle plus vraiment des vins du Médoc, à part quelques grandes figures incontournables. J’étais très content d’aller déguster dans les châteaux il y a 25 ans, c’est beaucoup moins le cas aujourd’hui. D’ailleurs, on ne boit plus ces vins en France, à cause des prix exagérés certes mais aussi parce que l’on s’est lassé de ces crus, tout bonnement. Est-ce vraiment une réussite d’avoir disparu de son pays, de ne plus faire référence dans les grandes dégustations d’amateurs ?

Qui est capable aujourd’hui de me citer le nom de 20 châteaux classés en 1855 (bravo pour l’actualité) en 3e ou 4e crus ? Où sont-ils ces vins ?

B. D. : Les Graves de Pessac-Léognan ont-ils beaucoup évolué ?

P. D.-G. : C’est certain, c’est le vignoble qui a le plus progressé, par étapes. Auparavant, il n’y avait, en effet, que quelques crus dont on parlait : Chevalier, la Mission… Beaucoup de propriétaires-investisseurs à Pessac-Léognan ont eu l’intelligence d’associer la modernité (des vins plus ronds, etc) à la tradition, en laissant toute la spécificité de leurs terroirs s’exprimer. Ils ont aussi une gamme de prix cohérente qui correspond au marché, par rapport aux autres vins de France, et aux vins étrangers.

Et puis, ce n’est pas si facile de réussir à la fois du blanc et du rouge, et les propriétaires que nous soutenons ont aussi le mérite de réussir cela. Les vins blancs de Pessac sont tout à fait remarquables et rentrent dans la “cour” des grands vins blancs du monde et les rouges sont parvenus à un haut niveau qualitatif et cela dans toute la gamme. Évidemment, d’autres ont exagéré, accumulant les “prouesses” œnologiques, faisant des vins insipides, marqués par des senteurs tropicales (sic), et trop chers.

B. D. : Est-ce que cette réussite a aidé les Graves du Sud ?

P. D.-G. : Je me souviens des querelles d’hommes lors de cette séparation des Pessac-Léognan avec les Graves du sud. Pourtant, il fallait bien que les Graves de Pessac-Léognan se distinguent de ceux de Langon, les terroirs étant fort disparates. En parallèle, l’appellation de Graves a également explosé qualitativement, dans les blancs comme les rouges et cela dans une gamme de prix très large : c’est dans cette région qu’il y a eu le plus grand bouleversement qualitatif ces vingt dernières années. On fait des vins superbes à Landiras, à Podensac, à Portets ou à Beautiran, et je n’ai pas hésité longtemps à les faire accéder au sommet dans mon Classement, tant leur rapport qualité-prix-typicité est réussi. On reconnaît facilement “à l’aveugle” un vin de Graves, ce qui prouve bien qu’il y a une identité.

B. D. : Les Bordeaux Supérieurs ont-ils vraiment fait des efforts, eux aussi ?

P. D.-G. : J’ai écrit le Guide des Bordeaux Supérieur en 1990 : je connais donc l’appellation, j’ai beaucoup d’amis qui travaillent ici comme s’ils produisaient des crus classés ailleurs, déployant les mêmes efforts. Ils ont profité que le Médoc “de base” délaisse la typicité pour s’engouffrer dans de nouveaux marchés. D’un point de vue de marketing “pur”, Bordeaux Supérieur, ce n’est pas un nom génial, il faut l’avouer… La réussite est d’autant plus méritoire. Ici comme partout, les différences de style sont notables, le territoire étant tellement étendu, il faut faire des distinctions entre les vins produits à Pellegrue ou à Saint-André-de-Cubzac, ceux qui viennent de Génissac, de Saint-Martin-du-Puy, d’Arveyres ou de Tresses.

B. D. : Du côté de Saint-Émilion, qu’avez-vous observé ?

P. D.-G. : J’ai toujours eu une attirance pour les “satellites” de Saint-Émilion, des vins à des rapports qualité-prix sensationnels. Les propriétaires savent maîtriser leurs vignes, leurs prix, ont sorti des cuvées plus complexes. Montagne Saint-Émilion était une appellation où, déjà il y a 30 ans, je dégustais des vins bien meilleurs que certains Saint-Émilion. Quand on voit les vignes en coteaux de Montagne ou Saint-Georges, on comprend vite pourquoi.

À Saint-Émilion, hélas, on assiste toujours à des querelles de clocher où l’on a l’impression que se règlent les comptes au travers des bons points reçus ça et là par les uns et les autres. Il y a une carte exceptionnelle, précise, détaillée, évidente, de Van Leuween, qui a fait l’inventaire des meilleurs terroirs, et le prouve

Là encore, la typicité a le dernier mot. Pas de grands vins sans terroir, pas de réel prestige si l’on mise sur l’arrogance.

B. D. : Et les Côtes de Bordeaux ?

P. D.-G. : L’actualité des Côtes de Bordeaux me laisse également assez perplexe : on assiste à un regroupement des Premières Côtes, de celles de Blaye et de Castillon (les Côtes de Bourg ayant refusé d’y appartenir). Quand on veut mettre son identité en avant, montrer son originalité, regrouper ces appellations sous un nom générique, prétextant que c’est plus simple à mémoriser, me paraît aberrant. Si les Côtes veulent un avenir, c’est  bien en défendant leur spécificité propre, non ? On est, pourtant, en train de faire la démarche inverse…

B. D. : Les vins du Sauternais sont-ils les mêmes ?

P. D.-G. : Oui, ils restent très difficiles à produire, ce sont des vins tout à fait exceptionnels, très  tributaires de la nature. Ce ne sont pas des vins que l’on peut “rattraper” dans le cuvier. À Sauternes comme pour les Quarts-de-Chaume, à Loupiac ou à Jurançon, la surmaturité naturelle des raisins est indispensable, je parle de celle apportée par le Botrytis Cinerea, et pas du passerillage.

B. D. : Non loin, les vins du Sud-Ouest ?

P. D.-G. : On peut rapprocher la démarche des vignerons du Sud-Ouest à celle des producteurs du Val de Loire. On produit un style de vin traditionnel sans effet de mode. Les vins sont plaisants, charpentés, charnus, ils ont une âme et c’est très bien ainsi.

La région est bien évidemment étendue et regroupe de nombreuses appellations qui ne se ressemblent pas. Bergerac est tout bonnement un vignoble dont on n’entend pas parler, on a l’impression qu’il a disparu, à part quelques campagnes de pubs sur des abribus ou dans des foires aux vins. Gaillac est un vignoble intéressant, et il faut aborder ses vins comme des vins de plaisir, dans toutes les couleurs, quand, à Cahors, on apprécie plus des vins de “chair”, denses et parfumés, qui ont un réel potentiel de garde.

Pourtant, ce que je constate, pour l’ensemble de ces vignobles, c’est un immobilisme aberrant des Syndicats : on a vraiment l’impression que rien ne se passe dans leur coin, qu’il manque la volonté de montrer sa fierté, son authenticité. Un jour, on bouge, on a des idées, le lendemain, on repart faire la sieste… C’est dommage.

B. D. : Poursuivons notre route vers le Languedoc…

P. D.-G. : C’est la région qui m’a fait le plus sourire, je me souviens que mes “confrères” titraient “l’Eldorado”, la “Californie de l’an 2000”.

Le seul homme qui soit un vrai précurseur ici, c’est Aimé Guibert, à Daumas-Gassac qui a fait une vraie recherche de cépages adaptés à ses sols, c’est le seul capable de créer cela. Je l’ai connu en 1982, lorsqu’il a sorti son premier millésime, j’en parlais avec lui, avec Émile Peynaud, qui l’avait conseillé… Il a su produire un vin typé, racé, extraordinaire. Il a beaucoup été copié mais jamais égalé. J’ai vu toutes les fantaisies, des vinifications extrêmes pour compenser un terroir qui manquait ou des cépages plantés, inadaptés au sol.

Pourtant, il y a des territoires remarquables en Languedoc, des vins que j’adore, des vins de Pays, des Corbières ou des Minervois. On leur demande d’être vendus à leur juste prix, ils ne rivaliseront jamais avec un Pomerol ou un Margaux. Et puis, qu’est-ce que cela peut bien faire ? Ce vent de folie se calme un peu aujourd’hui, car certains investisseurs ont du mal à rentabiliser et  abandonnent, alors que des critiques ou sommeliers un tantinet trop enthousiastes sur les vins “fabriqués” du coin commencent également à se calmer, faute de passer pour des idiots…

La morale de tout cela, c’est qu’il faut que chacun reste à sa place, le terroir d’un Vosne Romanée est reconnu, hiérarchisé, incontestable, depuis des siècles, on ne peut pas imiter cela si facilement. Et c’est tant mieux.

B. D. : Nous arrivons en Provence…

P. D.-G. : La Provence a changé, car beaucoup d’investisseurs sont arrivés, attirés par les paysages et le climat. Je me souviens du temps où les vignerons ont réussi à prouver (et c’était difficile) que l’on ne produisait pas uniquement des rosés mais d’excellents rouges et blancs sur leurs terroirs. Maintenant, c’est un paradoxe, on est en train, à nouveau, de produire d’importantes quantités de rosé, pour répondre à une demande croissante, je trouve cela un peu décevant qu’ils délaissent leur potentiel, ainsi, tant on peut se faire plaisir, en Côtes de Provence et en Coteaux d’Aix, avec des vins rouges ou blancs superbes, issus d’un vrai terroir, et de cépages racés comme le Rolle, l’Ugni blanc, le Grenache ou la Syrah.

Par contre, à Bandol, on continue, comme il y a 20 ans, d’élever de très grands vins, et dans les trois couleurs, ce qui mérite vraiment un coup de chapeau.

B. D. : Et la Loire, ce vignoble où vous avez des attaches particulières ?

P. D.-G. : J’ai débuté mon métier dans le Muscadet, il y a trente ans, je connais bien cette région, j’aime les vins que l’on y produit, de Nantes à Sancerre.

Ces vignobles ont bien évolué en continuant à produire d’excellents vins sans trop modifier leur ligne de conduite. Cela prouve que l’on peut se développer sans se laisser influencer par des conseils extérieurs qui tendent à vouloir tout bouleverser.

Je trouve qu’un Saumur-Champigny ou un Chinon a le même goût qu’avant, les vins sont mieux faits, c’est une évidence, mais, ce sont les mêmes vins que dans les années 1980. C’est d’abord le signe d’une fidélité des hommes à leur spécificité. Et puis, les propriétaires de la région sont en contacts fréquents et directs avec les consommateurs qui circulent sur leurs routes très touristiques, et l’on n’est pas loin non plus de la capitale.

Il faut dire que l’on trouve des vins à un rapport qualité-prix formidable : un Saumur-Champigny à 10 € ou un Sancerre à 12 € avec des typicités exceptionnelles issus de terroirs uniques.

Qui n’a pas goûté l’expression du Sauvignon à Sancerre ou à Pouilly ne connaît rien au potentiel réel de ce cépage, qui ferait pâlir d’envie un bon nombre de producteurs d’autres régions et pays, où manque ce que l’on trouve ici : la minéralité !

En Anjou ou en Touraine, il en est de même pour le Cabernet franc ou le Chenin, des cépages magnifiques ici, qui s’expriment comme nulle part ailleurs, dans ces territoires de Parnay, du Puy-Notre-Dame, de Montlouis, de Ligré, de Saint-Nicolas-de-Bourgueil ou de Vouvray…




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