J’ai déjà lu des articles sur des sujets cocasses, mais celui-là atteint un beau niveau. Dans le Républicain du 20 Décembre (édition Sud-Gironde, dans lequel, pour info, j’ai cessé toute collaboration depuis 6 mois), carrément à la « une » : « Un viticulteur de Landiras fait sensation : 1.000 dollars la bouteille. Un vin d’exception sur un terroir d’exception… La Rolls du vin de garage… »
Le plus souvent, de tels propos m’indiffèrent et, après tout, tant qu’il y aura des couillons pour payer un tel prix pour un « vin de garage », cela m’est bien égal. Par contre, je n’aime pas que l’on leurre les consommateurs sur la réalité des très grands vins de Bordeaux. Récapitulons, dans la région, il y a surtout 6 à 8 crus rouges vraiment magiques, qui possèdent un vrai terroir unique, une qualité hors normes, millésime après millésime, et atteignent des prix extravagants mais que l’on peut accepter tant ils associent le luxe à une volupté qualitative incomparable. Ces 6, ce sont Petrus, Latour, Cheval Blanc, Lafite, Margaux et Haut-Brion (la Mission Haut-Brion pouvant même être meilleur, j’hésite, et Mouton, bien sûr). Une vingtaine de grands crus racés, à des prix sages et vraiment très typés suivent (Montrose, Léoville-Barton, Bélair, Calon-Ségur, Lynch-Bages, Chevalier, Grand-Puy-Lacoste, Certan de May, Magdelaine, Smith-Haut-Lafitte, Trotanoy…), puis une vingtaine d’autres remarquables et abordables (Desmirail, Pontet-Canet, Carbonnieux, Brane-Cantenac, Canon, Rauzan-Gassies, Cantenac …), enfin tous les autres bénéficiant d’un formidable rapport qualité-prix-plaisir que vous trouvez régulièrement dans mon Guide ou dans Millésimes. Les vins de « garage », comme ceux qui sont surbarriqués ou dévolus à plaire à Parker, c’est du pipeau, à côté. Cela fait du bien de resituer les choses, non ?
Je reviens à l’article sur Liber Pater. Le coin, le « terroir d’exception », je le connais, c’est à côté de chez moi. On y fait des Graves sympathiques comme celui du Château d’Arricaud ou du Château Saint-Agrèves pour moins de 10 €. Je cite encore : « ce serait (on emploie quand même le conditionnel, au cas où…, note perso) un terroir identique, par résurgence, à celui de Malartic-Lagravière, en Pessac-Léognan ». Bon : si la famille Bonnie (propriétaire de Malartic) tombe sur cet article, ils vont autant rire que moi, et ils auront bien raison, Malartic étant l’une des plus belles croupes de Graves de tout Pessac-Léognan. Si le coin de Landiras en était pourvu, nul doute qu’on le saurait depuis belle lurette. Ce n’est parce que l’on a des cailloux similaires sur le sol que les couches de sous-sol de Malartic sous plusieurs mètres (îlots graveleux datant du quaternaire notamment), sont les mêmes. Faut donc pas faire d’amalgames ou tout confondre.
Ensuite, on a droit à un blabla, je cite toujours : « le terroir ne suffit pas (on veut bien le croire, en l’espèce, toujours note perso), il y faut aussi des principes : l’agrobiologie guide la réflexion, ici ». Autrement dit, ici, on sait faire !!! Le blabla se poursuit avec une belle citation du producteur himself : « du bio vraiment bio, du vrai vin naturel« . Merci pour les producteurs bio, et pour les autres (je rappelle que le « bio », dans le domaine du vin, n’est pas forcément un plus qualitatif), et qu’un « vrai vin naturel », littéralement, cela s’appelle du vinaigre…
Suite du blabla, comme si c’était ici, et seulement ici, que l’on savait faire du vin : « tout est foulé… la gravité est utilisée… ». Rien de plus banal puisque c’est ce que font des centaines de producteurs de grands vins, depuis des lustres.
Le pompon, c’est cette phrase : « on fait là aussi dans le génie : Gérard Puvis, vedette internationale côté (manque le « e » dans l’article) habille les bouteilles… ». Euh, Gérard Puvis, connais pas (c’est drôle, il me semble que je maîtrise assez bien l’art contemporain, pourtant). C’est lui. Si j’ai bien compris, ce grand artiste serait du même acabit que les Masson (en 1957), Salvator Dali (en 1958), Villon, Mathieu, Moore, Tanning, Miro, Poliakoff, Soulages, Saint-Phalle, Hartung, Bacon, Tapies…, qui signent les étiquettes de Mouton, et l’idée de faire signer une étiquette par un artiste serait « nouvelle », puisque reprenant ce que Mouton fait depuis 50 ans…
Donc, le tout, ce « tryptique environnement-vin-art » (je cite encore, c’est tellement beau), vaudrait 1.000 $ l’unité.
Précision : je n’ai rien contre ce producteur (il est cité dans mon Guide 2008 pour son blanc), je n’ai rien non plus contre le marketing, mais je n’ai surtout rien contre une franche rigolade, et là, c’est gagné !
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