* Un vrai Bordeaux, sinon rien

Comme en Bourgogne, on ne peut que regretter que beaucoup de crus bordelais, réputés ou non, “classés” (en 1855…, merci pour l’actualisation) ou non, “classés” à Saint-Émilion ou en “Crus Bourgeois” du Médoc (les deux classements étant juridiquement obsolètes, ce qui la fout bien) atteignent des prix qui ne sont plus conformes au plaisir qu’ils procurent. Comment ne pas être déçu par des vins à 50 € qui ne « tiennent » que 3 ou 4 ans, par d’autres qui « lissent » complètement leur spécificité (on ne sait plus, à « l’aveugle », si on goûte un Pessac ou un Médoc, un Bx Sup ou un grand cru classé de Saint-Émilion) : on ne goûte alors que des produits aseptisés par les techniques œnologiques (matraquage de fûts neufs, osmose inverse, micro-bullage, levures parfumées….

Pour faire ces “vins”, on récolte des raisins surmaturés, on concentre à outrance (avec des concentrateurs) lors des vinifications, on met le tout dans des barriques où le bois peut, sur demande auprès des tonneliers, vous donner le goût que vous recherchez (de la vanille, du sirop, de la confiture…), et on vous sert un vin à la limite de l’écœurement, noir comme de l’encre, gras comme de l’huile et parfumé comme votre bureau en bois.

J’apprécie donc les vrais vins de Bordeaux, du plus grand au plus modeste, et les consommateurs comme les producteurs savent que je défends ce qui les intéresse, et les distingue : le rapport qualité-prix-typicité. Si l’on fait un grand Margaux ou un Pomerol racé à 40 ou 80 €, il les vaut bien. Idem pour une gamme plus abordable, en Graves, dans les Satellites, les Côtes ou en Bordeaux Supérieur, où les progrès sont exceptionnels.

En-dehors de quelques crus mythiques pour lesquels le prix n’est plus un facteur estimatif (on entre alors dans le monde du luxe, voir mon article), ce qui n’est pas du tout justifié aujourd’hui, et on l’a vu -hélas- avec les augmentations de prix du millésime 2005, c’est un Saint-Émilion “fardé” comme un acteur du carnaval de Venise à 80 € (voire bien plus), un “simple” Médoc à 25 €, un “bon” machin à 30 € ou un Bordeaux Supérieur ultra-barriqué à 15 €.

À force de prendre les consommateurs pour des gogos (demain, les Russes ou les Chinois le comprendront aussi), certains vont s’en mordre les doigts… Pour mémoire, il existe deux “crises” actuellement, très différentes, voire opposées, dans beaucoup de vignobles : celle, désastreuse pour ceux qui la subissent, qui touche certains viticulteurs, la plupart étant dépendants des prix trop bas du tonneau, qui ont du mal à se faire rémunérer correctement. Les causes sont complexes (un certain négoce peu solidaire parfois, une politique de plantation trop importante, des barrières étatiques…). Ils méritent d’être soutenus, et l’on fera ce que nous pouvons pour les aider. C’est une crise sociale.

L’autre crise concerne un bon nombre de vins, à Bordeaux, notamment : trop chers ou trop sensibles à la mode (“vins de garage”), trop endormis sur leurs lauriers, trop imbus d’eux-mêmes, alors que le respect des consommateurs (proposer un vrai rapport qualité-prix cohérent) est impératif. Les acheteurs se sont sentis lésés. On parle beaucoup trop d’argent, de prix, de bonnes notes glanées chez un “gourou” quelconque, et c’est ce que le consommateur retient, alors que, bien sûr, ceci ne concerne qu’une petite minorité. C’est une crise de confiance, et, en même temps, une crise d’identité, tant un bon nombre de vins ont perdu leur spécificité.

Les “primeurs” (depuis 2000, et surtout 2005 où certains crus ont sorti des prix déments et incautionnables) font des vins bien trop chers, et cela commence à créer un sérieux malaise à Bordeaux, tant il y a de différence entre 2 vins d’une même appellation. Pourquoi payer une bouteille à 50 ou 200 € quand on peut trouver du plaisir dans une bouteille 4 à 10 fois moins chère (même si, et je le sais, que les vins ne sont pas “comparables”) ?

Je le dis, aujourd’hui plus qu’hier : tant que certains vins connus de Bordeaux (surcôtés, en plus) ne seront que des « erzats » de leur appellation, masquant leur terroir (quand ils en ont un), cela portera tort à l’ensemble des vrais bons vins typés de Bordeaux, du plus grand au plus modeste, à ce Pomerol qui sent la truffe, à ce Saint-Julien tout en délicatesse, etc… bref, aux vins que nous aimons et défendons.

Pour comprendre l’influence du terroir à Bordeaux, par exemple dans le Libournais, deux ouvrages font toujours référence, ceux du Professeur Henri Enjalbert (qui décrit parfaitement le cheminement et l’extension historiques des « grands crus ») et de Van Leuween (sa carte des terroirs de Saint-Émilion permet de comprendre bien des choses : demandez-la au Syndicat de Saint-Émilion, il vous l’enverront sûrement avec plaisir). Avec lui, on réalise la force des terroirs : sols brunifiés, calci-magnésiques, lessivés, hydromorphes… c’est-à-dire la quintessence même des crus. Comme ces sols n’ont pas pu changer de place, il est facile de constater que des crus se trouvent dans des coins, disons, plus « neutres »… Vous aurez donc compris que l’on ne fait pas du tout les mêmes vins selon que l’on se trouve sur le « plateau de Saint-Martin » ou sur des terres silico-argileuses, sur la plaine de la Dordogne ou les territoires issus de formations alluviales. Je vous laisse vérifier par vous-même.

Il y a aussi les livres de Bernard Ginestet, toujours d’actualité, très complets sur Saint-Émilion (classification des sous-sols « nobles » à « roturiers ») et particulièrement sur les appellations médocaines.

Voici ce que l’on peut constater, également, quand on suit les syndicats et leurs actions :

Les appellations qui bougent : Montagne-Saint-Émilion, Pauillac, Pessac-Léognan, ­Puisseguin-Saint-Émilion, Sauternes.

Celles qui mériteraient mieux : Bordeaux Supérieur, Côtes-de-Bourg, Graves, Pomerol.

Les appellations qui « somnolent » : Cérons, Haut-Médoc, ­Lalande-de-Pomerol, Loupiac, Lussac-Saint-Émilion, Moulis, Premières-Côtes-de-Blaye, Saint-Estèphe.

Celles qui ont encore du travail : Bordeaux, Fronsac, Margaux, Médoc, Premières-Côtes-de-Bordeaux, Saint-Émilion, Saint-Georges-Saint-Émilion.

Celles dont on n’entend pas parler : Bordeaux blanc sec, Cadillac, Canon-Fronsac, Côtes-de-Castillon, Côtes-de-Francs, Crémant de Bordeaux, Entre-Deux-Mers, Listrac, Saint-Julien, Sainte-Croix-du-Mont.

MEDOC

Si les vins du Médoc sont réputés, ce n’est pas pour être des vins intouchables à cause de leur prix ou “putassiers”, ces vins ou micro-cuvées qui n’existent que pour rafler de bonnes notes à des concours et ne correspondent plus à la grande tradition médocaine. Ces pratiques sont une honte pour la majorité des grands vins de la région, qui sont des vins fermés dans leur jeunesse, typés par leur terroir, et qui demandent d’évoluer dans le temps pour s’exprimer, en fonction de chaque millésime, respectant ainsi la nature. La force du terroir est la base de tout. Pour les grands, les meilleurs affaires se font avec les châteaux Montrose, Calon-Ségur, Léoville-Barton, Batailley, Brane-Cantenac, suivis par les superbes (et très abordables), Clauzet, La Tour de By, Fonbadet, Fourcas-Dupré, Maucaillou, puis Tour-du-Roc, Doyac, Taffard de Blaignan, Fontesteau, Muret, Lestage-Darquier, Panigon, etc. Beaucoup d’autres sont sans intérêt, et les prix sont souvent déments.

POMEROL

À Pomerol, il y a des vins splendides (Certan de May, La Croix, Beauregard…), très typés par le Merlot qui se plaît à merveille dans ces territoires diversifiés. Il faut noter que, les exceptions et les excès confirmant la règle, les vins bénéficient d’un rapport qualité-prix-typicité justifié par la rareté comme par la convivialité et l’amour du vin.

SAINT-ÉMILION

J’adore les vins de la région, pour leur puissance associée à leur finesse, et j’estime qu’il y a une bonne cinquantaine de vins qui valent le déplacement, garants de prix sages et d’une vraie typicité. Mais, à Saint-Émilion, on s’enlise dans les histoires de clochers, sublimées par beaucoup trop de frime et certains niveaux de prix qui ne prêtent qu’à sourire. Il y a un Classement “officiel” qui montre une image négative du vignoble, multipliant les procès et, à ce jour, annulé par un jugement (voir l’édition du Sud-Ouest du 12 Novembre), et il y a des vins remarquables, typés, très abordables, dans toute la gamme (Belair, Trotte Vieille, GuadetLaroque, Lamarzelle, Mauvinon, Cantenac, Matras, Clos Labarde, Clos Trimoulet, Piganeau…). Suffit de déboucher un Château La Marzelle, millésimes 2006 à 2001 pour comprendre que l’on est au sommet de l’élégance.

Hélas, on ne peut aussi qu’être déçu par des vins totalement “fabriqués”, vinifiés par ceux qui croient avoir la “science infuse” et veulent nous faire croire qu’en mettant un vin “200 % en barriques neuves” ou en multipliant les manipulations œnologiques, les concentrations et des “essais”, on sait faire du vin !

À Saint-Émilion comme ailleurs, ceux-là se moquent des amateurs et des autres vignerons de l’appellation que nous défendons,qui savent très bien s’il faut mettre 10 %, 20 %, 30 %, 50 % de leurs vins en barriques neuves, ou moins, ou plus, selon la force du millésime et la structure du vin. On ne fait du bon vin, et a fortiori un grand cru, que sur des terroirs propices, de la “crasse de fer” aux argiles profondes, assortis de dépôts marins ou d’alios. Gare à certains prix, totalement injustifiés.

SATELLITES, FRONSAC

Les meilleurs vins de Montagne, Puisseguin et Lussac se retrouvent dans le Classement des “Satellites” de Saint-Émilion, et proviennent de terroirs spécifiques, limitrophes ou rapprochables d’autres sols d’appellations plus prestigieuses, ce qui leur permet de devenir de grands vins à part entière. On se fait vraiment plaisir dans ces appellations (de Roc de Calon à Béchereau…).
Bien que certains tentent de les mélanger, les deux appellations Canon-Fronsac et Fronsac partagent à la fois des différences et des similitudes. Là aussi, des vins sont surcotés et beaucoup plus marqués par leurs vinifications que par un terroir.

GRAVES/PESSAC-LÉOGNAN

Pour les Graves, il existe une variété importante de styles de vins. Cela va des crus réellement (et historiquement) exceptionnels (La Mission Haut-Brion en étant un bel exemple), issus des territoires de Pessac, Martillac ou Léognan, mais aussi ceux de Podensac ou Portets, certains d’entre eux, dans les appellations Pessac-Léognan (Carbonnieux, La Tour-Martillac, Brown, Grandmaison… avec quelques-unes des plus belles bouteilles de la région dans les millésimes 2005 et 2004) comme dans celle des Graves, bénéficiant d’un remarquable rapport qualité-prix-plaisir, d’autres crus atteignant des prix difficilement cautionnables. C’est évidemment le berceau des grands vins blancs de la région bordelaise (Chevalier, toujours sublime, suivi par Smith-Haut-Lafitte). Côté Classement,il est indéniable que de rares Graves (Rahoul, Le Tuquet, Chantegrive, Grand Bos…) atteignent également les sommets, grâce à un rapport qualité-prix superbe.

CÔTES

Dans les appellations de Côtes, qui se cherchent toujours, il s’agit de choisir entre les vins typés comme nous les aimons (ceux qui sont classés en « Premiers » comme Le Clos du Notaire, Haut-Maco, Moulin Vieux…), et d’autres cuvées très spéciales, dépersonnalisées (à ne pas confondre avec les cuvées de prestige retenues), faisant la part belle à des vinifications trop sophistiquées, peu propices à mettre un terroir en avant, s’il existe. On essaie de se regrouper, on veut changer de nom, on ne sait pas ce qu’il faut faire. Pathétique, car on oublie que, seul, la mise en valeur des terroirs est la garantie de se créer des « niches » et la porte du succès de demain.

BORDEAUX SUPÉRIEUR

Dans les Bordeaux Supérieur, les progrès sont constants depuis plus de dix ans, on savoure de nombreux vins remarquables pour leur rapport qualité-prix-plaisir. La plupart des propriétaires retenus élèvent aussi de jolis Bordeaux blancs qui ont du mal à se faire une image. Pourtant, il est inadmissible (et risible) de trouver des cuvées (très) spéciales à plus de 15 € ! Une trentaine de crus (Lugagnac, Boutillon, Grand Verdus…) sont à la tête de cette appellation et vous les trouverez dans mon Classement.

SAUTERNES/LIQUOREUX

À Sauternes (et Barsac), l’équilibre géologique et climatique de la région en fait un milieu naturel idéal pour cette fascinante biologie qu’est le Botrytis cinerea. L’appellation a connu une série de millésimes très différents, du plus exceptionnel (2007, 2004, 2001) au plus difficile (2002). Attention au passerillage, qui n’a rien à voir avec le Botrytis… On parvient à des plaisirs intenses avec Coutet, Filhot, La Tour Blanche, Bastor-Lamontagne, Coutet… En liquoreux, les appellations situées face à Sauternes, recèlent des vins onctueux, qui ont du mal à se faire un nom, pourtant d’un très bon rapport qualité-prix-plaisir.

Mes Classements 2010 sont la garantie de ne pas vous faire avoir.

Les millésimes :  Voir  la Vintage Code

Pour les rouges
– les grands : 2009, 2005, 2004, 2003, 2001, 2000, 1998, 1996, 1995, 1990, 1989, 1988, 1986, 1985, 1983, 1982, 1978, 1976, 1971, 1970, 1966, 1961.
– les bons : 2008, 2007, 2006, 2002, 1999, 1997, 1994, 1993, 1981, 1979, 1975, 1964.

Pour les blancs (surtout liquoreux)
– les grands : 2009, 2007, 2006, 2005, 2001, 1999, 1996, 1995, 1990, 1989, 1986, 1983, 1978, 1976, 1970.
– les bons : 2008, 2004, 2003, 2000, 1998, 1997, 1994, 1988, 1979.

Millesimes

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.