* Prix des Grands Médoc : quand la réalité se prend pour un mythe

À une époque où les financiers opportunistes sont remis à leur place -et c’est tant mieux- le « yo-yo » auquel se livrent un bon nombre de crus bordelais prête à la gêne, si ce n’est à la honte quand on rapproche certains prix de la réalité du monde. Le monde, c’est nous, ceux qui bossent pour (bien) gagner leur vie et c’est aussi les autres, ceux qui ont de quoi rager quand ils ouvrent un catalogue.

Un exemple qui n’a rien à voir, comme disait Coluche : il faut 30 milliards d’euros annuels pour aider à se nourrir ceux qui meurent de faim dans le monde, et l’on ne cesse de nous montrer des chiffres ahurissants (750 milliards d’euros aux USA, 350 milliards ici, 500 milliards là…) qui sortent subitement des chapeaux pour calmer des marchés financiers et rassurer des traders. Écœurant, non ? Bon, je m’égare. Si je n’étais pas libéral -et sarkoziste- il y aurait de quoi virer à gauche.

Puisque la bourse fait tant parler d’elle, revenons donc à celle de certains Bordeaux, dont les prix évoluent selon l’air du temps, la mode ou on ne sait quoi. Pour ces vins, dont la qualité intrinsèque n’est pas en cause (Lafite et Mouton sont toujours « 1ers » dans mon Classement), ce que l’on constate, c’est que les prix de leurs millésimes 2006 et 2005 laissent quand même rêveur… Parfois, on est dans le même système : tant qu’il y des acheteurs, on part à la hausse, et les prix montent, puis remontent… On vient de voir, sur le marché des actions, que le bluff a sombré et que la fiction s’est durement heurtée à la réalité, et il ne faut pas être devin pour penser que cela peut se répercuter sur le marché des grands crus.

Quelques exemples de prix (voir aussi mon article sur Ausone) : Château Mouton-Rothschild 2005 : de 903 € à 1.000 €. Et, encore plus cher (faudrait savoir, je croyais que le 2005 était meilleur que le 2006), celui du 2006 : 946 €, Pas mal, non plus : 151 €  le Petit Mouton de Mouton… et 120 € pour le 2006… Le Château Lafite-Rothschild 2005 est un cran plus haut : de 1.370 € à 1.400 €, et le 2006 : 823 € ! Et, encore plus fort : 254 €  Les Carruades 2005… Je rappelle que ce n’est « que » le second vin, tout remarquable qu’il puisse être. À rapprocher (même si je n’aime pas vraiment cela, tant les terroirs sont différents) des « seulement » 149 € de l’extraordinaire Montrose 2005 ou de très belles bouteilles comme celles des Grand Puy Lacoste (130 €) ou Haut-Batailley 2005 (88 €)… Il y a également le Château Cos d’Estournel 2005 : 345 € (et 2006 : 149 €, ce qui est déjà beaucoup, je vous l’accorde). À moitié prix (78 €), on a pourtant le superbe Calon-Ségur 2006 de Denise Gasqueton, et, pour rester à Saint-Estèphe, Montrose pour 95 € !!!  Je vous laisse comparer par vous-même, mais, avouez qu’il y a de quoi s’étonner…

Comprenons-nous bien : il faut, et il y a (de moins en moins, en fait) des vins mythiques. Il reste Petrus et La Romanée-Conti, dont les prix extravagants sont hors normes, tant on passe alors dans le pur domaine du luxe. Mais ce sont aussi des vins uniques, sans concurrence, dont les terroirs sont tout-à-faits exceptionnels (leurs territoires sont restreints), et où la politique des premiers, seconds ou troisièmes, ou celle de l’esbroufe et du « body-building », n’ont jamais été de mise. Les hommes y prennent également un rôle majeur. À Bordeaux, il y avait aussi le Yquem du marquis de Lur-Saluces., intimement lié à son propriétaire. On peut y ajouter Latour (qui parvient à se maintenir) et Haut-Brion. Il n’y en a plus à Saint-Émilion (peut-être encore Cheval Blanc ?), tant on s’est trop amusé à faire des micro-cuvées ou des vins surconcentrés. Pour le rêve, on arrive donc aux doigts d’une main.

Ensuite, que le vin ait été « classé » (en 1855) 1er, 2e ou 5e n’a plus aucune importance, 150 ans après, tant les vignobles et les vins ont changé. Il y a des « 5e » de 1855 comme Lynch-Bages qui sont à la tête de leur appellation, des « seconds » qui ne sont pas meilleurs que des « 4e », d’autres qui sont meilleurs (Léoville-Barton) que des « 1ers », des « Bourgeois » (Sociando-Mallet) qui écrasent des « 3e », etc, etc. Chaque vin est donc remis en cause chaque année, et cela explique les notes et classements des uns et des autres, régulièrement mis à jour. C’est bien naturel.

Un aparté : j’ai eu, hier, à Saint-Estèphe, une conversation passionnante avec un « seigneur » bordelais (voir « la nostalgie« ) comme je les aime (vous ne saurez pas son nom, ce n’est pas le genre de se mettre en avant), qui se désole de voir qu’un bon nombre de « grands » crus (trop) renommés se flattaient de faire leur grand vin avec 30% seulement de leur vignoble (le reste passant dans un second, voire un troisième vin) ou en faisant des rendements de 20 hl/ha.

Je pense la même chose depuis toujours : un grand vin, justement, doit être grand sur l’ensemble de son territoire, et avec des rendements normaux, que l’on peut situer à 50 hl/ha pour les vrais grands vins typés médocains (surtout si l’on est planté à 10 000 pieds/ha). Ne faire son premier vin qu’avec le 1/3 de la récolte, c’est du pipeau.

On aura compris que le prix n’est pas forcément un gage de « supériorité », et qu’il ne suffit pas de mettre 500 € sur une étiquette pour être une vedette, et encore moins un mythe. En fait, des stars, il n’y en a pas beaucoup, même si tout le monde s’approprie le mot. Vous l’aviez déjà remarqué : le rappeur du coin ou la comédienne d’un navet sont présentés comme Jacques Brel ou Marlon Brando : eh bien, c’est tout autant ridicule dans le vin.

Raison de plus pour ne plus faire confiance à des hiérarchies plus ou moins officielles (celle de Saint-Émilion me fait régulièrement sourire) et pour ne pas se retrouver avec des seconds vins aussi chers… Et puis, il y a quand même beaucoup de crus bordelais entre 30 et 50 € qui sont superbes, racés et typés, et d’autres, entre 10 et 20 €, tout aussi passionnants. Je vous renvoie à mon Classement 2009.

Allez, on se détend : ce soir, je me fais plaisir avec un Nuits-Saint-Georges Les Saints-Georges 2004 (sur une simple terrine « maison », devant un grand film, c’est parfait).

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