Brigitte Dussert : le millésime 2007 a été critiqué dès le mois de septembre, avant les vendanges, notamment à Bordeaux? Qu’en-est-il?
Patrick Dussert-Gerber : c’est navrant. Je l’ai déjà écrit dans mon Blog, début Février : on juge sans savoir, sans avoir rien goûté, pas enquêté, pas suivi l’évolution des raisins, ni les vendanges, ni les sélections, pas vu les efforts des hommes, les éclaircissages, ni les tris, rien compris à l’influence des terroirs cette année, celle du calcaire ou des graves en sous-sol, rien vu de le réactivité du Cabernet-Sauvignon, pas saisi la résurgence de l’acidité, pas assimilé ce long cycle végétatif, ni les vinifications… Il y a des critiques trop imbus d’eux-mêmes qui disent n’importe quoi, ils se sont découverts à cette occasion…
D’une manière générale, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le millésime 2007 est relativement classique.
Il faut comprendre que, ces dernières années, nous nous sommes habitués à goûter des millésimes “très chauds” dû, au réchauffement climatique peut-être, en tout cas à des millésimes particulièrement précoces. Les viticulteurs se sont habitués à récolter des raisins très mûrs, il y a même eu des millésimes très atypiques comme le 2003, voire le 2005, même si c’est un grand millésime. On a oublié que les grands vins français avaient -aussi- besoin d’une bonne acidité.
Les vins ne doivent pas être alcoolisés, j’ai le recul de trente années d’expérience professionnelle et, que ce soit dans la Loire ou à Bordeaux, on ne faisait pas de vins ultra-concentrés, trop riches. Même à Châteauneuf du Pape, voire en Languedoc, où les vins sont charnus et colorés, ils doivent conserver et associer finesse et densité, et ne pas être uniquement des vins gorgés d’alcool, trop capiteux.
Ce sont ces qualités qui caractérisent les vins français, par rapport aux vins américains ou espagnols qui sont des vins plus lourds par manque d’un équilibre d’acidité.
Souvent, on oublie que ce sont les meilleurs terroirs qui donnent l’acidité. Dans un millésime plus délicat comme le 2007, on va se rendre compte que dans les territoires de Bordeaux, de Bourgogne ou de Champagne, les vins les plus réussis, les plus grands, seront les vins issus de vrais terroirs qui assimilent la différence climatique, où la vigne a eu le moins de stress hydrique, et c’est ce qui fait toute la différence.
C’est un millésime qui fait honneur aux grands terroirs, si vous avez de vieilles vignes en coteaux, sur des croupes ou sur des plateaux avec un bon terroir filtrant, vous aviez tous les atouts pour faire un très bon 2007. Par contre, si les terres sont trop riches ou dans les bas-fonds, dans un millésime comme 2007, cela ne pardonne pas. C’est vrai dans tous les vignobles.
Brigitte Dussert : vous voulez dire que c’est un millésime où l’on n’avait pas droit à l’erreur ?
Patrick Dussert-Gerber : cela veut tout simplement dire qu’il faut vivre avec la nature, accepter ses aléas, profiter justement des nouvelles techniques pour mieux les combattre, mais toujours différencier chaque millésime, lui rendre son style, et les techniques ostentatoires ne servent pas à grand-chose si l’on n’a pas un terroir. La priorité, c’est laisser s’exprimer son terroir, en respectant la vigne, en limitant les rendements, en pratiquant la lutte raisonnée, en laissant faire la nature, en l’accompagnant quand il le faut.
Le vin, c’est comme la vie : un peu de poésie, l’empreinte d’une origine, quelques notes de souvenirs, un zeste de sensualité, de la mesure et du respect. Il faut aussi être sensible à tous les vins, aller sur place, dans toute la France, et ne pas se contenter de dégustations mondaines, qui masquent la réalité du terrain.
Des millésimes comme ce 2007 permettent de cadrer le monde du vin. Ils remettent les “pendules à l’heure”. Pas question de jouer les apprentis chimistes dans un millésime comme celui-ci, c’est le travail dans les vignes, la force des terroirs et l’assiduité des vignerons qui font le succès. C’est beaucoup trop facile de réussir un 2005. Savoir élever un vin, c’est réussir son 2007.
D’ailleurs, les vins typés, de toute la France, que l’on goûtait il y a 25 ans n’ont pas tellement changé, ils étaient bons et ils le sont toujours, avec cette empreinte très forte de leur terroir.