* Ce que vous devez absolument savoir sur Bordeaux pour ne plus vous faire avoir…

Le vignoble de Bordeaux (celui des grands crus) est à un véritable tournant de sa carrière. J’y reviendrais en détail plus longuement, dans mes prochains articles, appellation par appellation, à l’occasion de la réactualisation de mes Classements.

C’est le résultat d’une longue glissade (la crise à bon dos) et cela va faire au moins 20 ans que j’annonce et déplore cela, sans être entendu par les producteurs d’un bon nombre de « grands » crus, mais en l’étant parfaitement par ceux qui comptent le plus : vous, les consommateurs. Mes faux-amis journaleux s’en sont pourtant donné à cœur joie pour dénigrer ma démarche, et critiquer, par exemple, le fait d’avoir été le premier à défaire le Classement du Médoc de 1855 ou à combattre celui de Saint-Émilion. J’ai créé mes Classements en 1985 !!!

Déjà, on voyait apparaître les œnologies médiatiques et mercantiles, Parker arrivait, des proprios de grands crus se seraient parjurer pour avoir une bonne note, bref, nous entrions dans un monde « putassier », où le fric et la mode primeraient.

Mes « confrères » (je n’ai jamais été dans ces cercles ou clubs de critiques, ni profité d’un WE AR tous frais payés par un grand château, ni accepté une invitation d’une attachée de presse : avion, hôtel de luxe et… une critique positive). C’est de là que se sont attisées les jalousies (et les bassesses) à mon égard d’autres « critiques » (qui n’en sont pas, de fait), puisque le succès était déjà au RV… Cela leur est resté en travers de la gorge. En fait, cela m’a toujours motivé (mon tempérament de boxeur, sans doute) et amusé, je le reconnais volontiers.

Il existe, hélas, aujourd’hui deux mondes du vin : celui, mercantile, presque virtuel, qui profite de la méconnaissance des acheteurs, notamment des pays émergents, et se sont coupés des acheteurs fidèles et traditionnels (français, belges, suisses, anglo-saxons…). Ils pratiquent la fuite en avant, faute de bases de commercialisation stables. Pour eux, il faut sans cesse trouver un nouveau marché pour caser sa marchandise…

BORDEAUX : Crise de confiance et… crise sociale

Il existe deux “crises”, très différentes, voire opposées :

– Celle, désastreuse pour ceux qui la subissent, qui touche certains viticulteurs, la plupart étant dépendants des prix trop bas du tonneau, qui ont du mal à se faire rémunérer correctement. Les causes sont complexes (un certain négoce peu solidaire parfois, une politique de plantation trop importante, des barrières étatiques…). Ils méritent d’être soutenus, et l’on fera ce que nous pouvons pour les aider. C’est une crise sociale.

– L’autre crise concerne un bon nombre de vins : trop chers ou trop sensibles à la mode, trop (sur) concentrés, trop endormis sur leurs lauriers, trop imbus d’eux-mêmes, alors que le respect des consommateurs (proposer un vrai rapport qualité-prix cohérent) est impératif. Les acheteurs se sont sentis lésés. On parle beaucoup trop d’argent, de prix, de bonnes notes glanées chez un “gourou” quelconque, et c’est ce que le consommateur retient, alors que, bien sûr, ceci ne concerne qu’une petite minorité. C’est une crise de confiance, et, en même temps, une crise d’identité, tant un bon nombre de vins ont perdu leur spécificité.

Il y a, néanmoins, trois points que l’on peut résumer

1/. La défiance et la désaffection des consommateurs français et francophones pour l’uniformisation du goût de beaucoup de crus bordelais est flagrante. Voilà pourquoi, ici, on se précipite vers les Chinois, les Russes, et demain les Esquimaux. C’est une facilité de chercher éternellement de nouveaux consommateurs, facilement captifs.

Beaucoup de grands crus de Bordeaux ont perdu la chose la plus importante pour être une vedette mondiale : être d’abord une vedette chez soi, dans son pays, être respecté, acheté, bu.

L’avantage : cela a permis à une multitude de vins de Bordeaux moins connus, plus modestes mais pas moins bons (et parfois meilleurs), de prendre leur place en apportant un rapport qualité-prix-typicité exceptionnel. Je les soutiens depuis belle lurette (lire plus bas). On ne va pas s’en plaindre et les vins aux réputations galvaudées, ces produits « sans âme ni vertu » à des prix insolents, l’ont bien mérité.

Bien entendu, cela a permis également à d’autres appellations françaises (de la Loire au Sud-Ouest, du Rhône au Languedoc) de parvenir à une notoriété justifiée en prenant les parts de marché abandonnés, mais restons à Bordeaux.

2/. La fuite en avant d’une majorité de vins bordelais vers un marché de « primeur », ce qui entraîne un assouplissement des vins pour qu’ils soient buvables de plus en plus rapidement. On revient bien sûr, avec cela, à un « lissage » des millésimes, qui se ressemblent tous.

Vous n’avez qu’à ouvrir un « spécial vins » quelconque : on axe la partie éditoriale sur des vins qui n’existent pas… puisque l’on vante des dégustations primeurs de grands crus bordelais qui ne seront pas du tout les mêmes vins deux ans après !

C’est-à-dire que l’on goûte, critique et note des vins qui ne correspondront jamais à la bouteille que vous ouvrirez. Donner son avis sur un grand cru 2009 de Bordeaux trois mois après les vendanges, ce n’est que de l’esbroufe. Le Bordeaux, un vrai grand Bordeaux, ce n’est pas du Beaujolais Nouveau ! On se trouve face à des vins non finis dont le but est de rafler des éloges, des “étoiles”, des notes de “95 sur 100” ou “19 sur 20”, uniquement pour pouvoir se vendre vite et cher par le négoce ou par souscription. Qui peut oser prétendre savoir ce que donnera un vrai grand cru au moment où il vient juste d’être abruti par le début de son élevage en barriques ?

C’est une mascarade, à laquelle certains critiques qui s’y prêtent feraient mieux d’apprendre l’humilité au lieu de donner des conseils. On nous explique même très sérieusement qu’il faudra boire le vin en 2012 ou en 2020. Certains propriétaires bordelais feraient bien également de voir à long terme, revenant à plus de réserve, en freinant ces dégustations trop précoces, qui les desservent plus qu’autre chose.

Bon, vous l’avez déjà compris, on ne me voit donc pas dans le carnaval des dégustations des “primeurs”. Idem pour les “concours” qui mélangent des vins jeunes, français et étrangers, totalement différents, favorisant ainsi les vins de vinification plutôt que le terroir, qui a besoin de temps pour s’exprimer. Pour les sélections de mon Guide, il n’y a pas de dégustations factices ou arrangées : je ne déguste que des bouteilles capsulées afin d’éviter ces trop jeunes cuvées de concours spécialement arrangées pour bien sortir. Sinon, je déguste sur place, au château, directement dans les fûts, au hasard.

Bientôt, il y aura sûrement un couillon qui va déguster les grains de raisin durant les vendanges et nous donnera son avis sur le millésime.

3/. Cette uniformisation du goût s’associe à une uniformisation de la typicité des vins. Qui n’a pas confondu un Margaux avec un Pessac-Léognan, un Saint-Émilion à un Bordeaux Supérieur, un Graves à un Côtes de Blaye ?

A cette aseptisation des terroirs se greffe celle de l’image : on le voit avec le regroupement des Premières Côtes de Blaye, des Côtes de Castillon et des Premières Côtes de Bordeaux. On réduit ces trois appellations sous une seule « Côtes de Bordeaux », sous prétexte que c’est ainsi que l’on pourra vendre ces vins au fin fond de la Chine.

Tous pareils, alors, ces vins ? On s’était donc foutu de nous, auparavant, quand on nous disait que les sols de Baurech n’étaient pas les mêmes que ceux de Berson ? Les Côtes-de-Bourg ont refusé cette alliance, et c’est tout à leur honneur, tant il faut préserver sa spécificité !

Bref, depuis le début des années 1980, ce sont d’abord les grands crus du Médoc qui se sont engouffrés dans cette dérive d’aseptisation du goût de leurs vins et de fric, profitant de l’aubaine de notes mirifiques chez Parker (il n’est pas le seul) pour vendre à tout-va aux Etats-Unis comme en Asie et, forcément, profitant de la méconnaissance de ces consommateurs pour leur imposer des vins charmeurs, faciles à boire jeunes, faciles à faire, dépersonnalisés et… rentables.

Ensuite, vers 1990, c’est au tour de Saint-Émilion. Il y avait pourtant, dans cette région libournaise, une propension à être plus proche de la nature : de facto, un producteur, sur un vignoble à taille humaine, était beaucoup plus en contact avec ses clients. L’influence et la mentalité corrézienne était forte, et tant mieux !

Et puis sont arrivés des investisseurs soucieux d’épargner leur ISF, qui ont fait des ponts d’or à des magiciens (il vaut mieux rire) de l’œnologie, ont glané des 18 sur 20, des 97 sur 100…

Frappez à la bonne porte, elle vaut la peine !

On est bien loin des grandes figures historiques de la région, qui m’ont appris le vin, l’amour du vin, l’authenticité du vin, la dégustation du vin, l’humilité du vin : Émile Peynaud, Jacques de Loustaunau et Ribéreau-Gayon (les trois vraies grandes « pointures » de l’œnologie du XXe siècle à Bordeaux), Jean-Eugène Borie, Anthony Perrin, Marc Pagès, Henri Lévêque, Lucien Lurton… On n’était pas dans l’esbroufe avec eux.

Comme avec, toujours fidèles à leur passion : Anthony Barton (Léoville-Barton), Jean-François et Christian Moueix (Petrus, Magdelaine, Belair…), les Janoueix (La Croix…), Jean-Bernard Delmas (Haut-Brion, puis Montrose), Henri de Vaucelles (Filhot), Denise Gasqueton Calon-Ségur), Bruno Sainson (Laroque), Olivier Bernard (Chevalier), Odette Barreau (Certan de May), Alain Jabiol (Cadet-Piola), Michel Garat (Beauregard et Bastor), la famille Estager (La Cabanne), Gilles Pauquet, Jean-Claude Berrouet et bien d’autres.

Mais comprenez-moi bien : la nostalgie n’est pas mon truc et il y a des vignerons hors-pair à Bordeaux dans des appellations ou des crus beaucoup moins prestigieux, des hommes et des femmes passionnés et passionnants qui élèvent des vins formidables, typés, sans manipulations œnologiques, de 7 à 30 € !!! Et, ceux-là non plus, vous ne les verrez pas poser en smoking sur leurs barriques pour le-Fig-Mag…

Pêle-mêle, En Saint-Emilion, Pomerol : Joël Dupas (Béchereau), la famille Marin-Audra (Canon-Chaigneau), Nicole Roskam (Cantenac), Bernard Laydis (Roc de Calon), Nicolas Bailly (Clos Labarde), les frères Appollot (Clos Trimoulet), Philippe Tribaudeau (Mauvinon), Denis Corre-Macquin (Macquin), Jean-Baptiste Brunot (Piganeau), Dubost (La Fleur du Roy)… En Médoc : Maurice Velge (Clauzet), Christiane Renon (La Galiane), Bruno Vonderheyden (Malleret), Henri Cadillac (Taffard de Blaignan), Catherine Blasco (Hanteillan), Jean-Michel Lapalu (Patache d’Aux), Philippe Robert (Tour du Roc), Patrice Pagès (Fourcas-Dupré), Philippe Boufflerd (Muret), Max de Portalès (Doyac), Philippe Dourthe (Maucaillou), Pascale Peyronie (Fonbadet)… En Pessac-Léognan/Graves, Jean Bouquier (Grandmaison), es Kressmann (Latour-Martillac), Maxime Bontoux (Tourteau-Chollet), la famille Bouche (Mauves), André Vincent (Grand Bos), Alain Cailley (Toulouze), Jean Magne (Luchey-Halde), Jean-Noël Belloc (Brondelle), Moïse Ohana (Seguin)… Dans les Côtes : les familles Mallet (Haut-Maco), Verdier (Brethous), Jean-Pierre Gorphe (Moulin Vieux), Eric Barrat (Pont Les Moines), Jean-Michel Robin (Les Heaumes), Philippe Bourcier (Haut-Bourcier)… En Bordeaux Supérieur, François-Thomas Bon (Lugagnac), Michel Pélissié (Maison Noble), Louis Filippi (Boutillon), Jean Crampes (Gayon), Michel Choquet (Lagrange Les Tours), Jean-Pierre Lallement (Thuron)… Et aussi, Anne-Marie Faccetti-Ricard (Saint-Amand), Marie-Laurence Sanfourche (Loupiac-Gaudiet), David Larrieu (Mailles)…

Comment vous en citer sans en oublier ? A vous de choisir dans MILLESIMES et LES VINS DU SIECLE.

Profitez-en, le « vrai » Bordeaux, celui du plaisir, du partage et des vins typés, c’est chez eux !

Cet article est -entre autres- repris dans Facebook et Vinovox

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