* L’incroyable Petrus

Il y a quelques « dégustateurs » qui feraient mieux de retourner à l’école et de savoir de quoi ils parlent avant de juger quoi que ce soit. J’ai lu notamment le résultat d’un « jury » (le mot lui-même prête à sourire, tant il est pompeux) qui, comme d’autres, classent une multitude de vins à concours devant le mythe Petrus. On sent d’ailleurs une jubilation sous-jacente, la jalousie n’ayant de limite que la bêtise. Trois choses :

1/. Mélanger les appellations ou les vins de régions et/ou de pays différents est tout aussi risible que peu professionnel.

2/. Un vin (grand ou modeste) ne se juge pas sur un seul millésime. On ne peut juger d’un cru que si on a pu le déguster des dizaines de fois, dans des millésimes différents. En l’espèce, vu le prix de Petrus, je doute que les « dégustateurs » aient vraiment pu accéder à cela, la philosophie des Moueix n’étant pas de filer des bouteilles à tout le monde. Passons.

3/. Découlant de cela, l’expérience nécessite de savoir « imaginer » l’évolution d’un vin. Comment voulez-vous estimer ce que sera un 2005 ou un 2002 si vous n’avez jamais gouté auparavant des millésimes similaires du même cru ? C’est du pipeau, voilà tout !

Il est si simple en effet qu’un vin « bodybuildé », surconcentré, surboisé, se présente mieux qu’un vrai grand vin qui, c’est son essence même, a besoin de plusieurs années pour se dévoiler. Un grand vin, ce n’est jamais bon après 3 ans, une bête à concours, si… faudra quand même que ces « dégustateurs » soit donc plus crédibles.

Mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit. On se doute que les prix extravagants de Petrus en font un produit de luxe, et que l’on n’envisage plus de mentionner à son sujet de rapport qualité-prix. J’en ai déjà parlé.

Ce qui fait -surtout- de Petrus (avec la Romanée-Conti) l’un des plus grands vins du monde, c’est son terroir et une façon de travailler qui ne fait pas dans l’esbroufe. Vous allez relire plus loin mon interview de Jean-Claude Berrouet sur ce point. On est donc bien loin des vins « sans vice ni vertu » dont nous abreuvent des propriétaires qui ne se contentent que d’appliquer des maquillages œnologiques.

En ce sens, Petrus est l’archétype des (rares) vrais grands vins racés de Bordeaux, où l’élégance s’allie à la structure, et reste plus que jamais la « locomotive » indispensable à tous les producteurs qui respectent leur terroir, signant des bouteilles authentiques, chacune dévoilant sa personnalité, qu’elles valent 10 ou 50 €. Sans des crus comme Petrus, la porte serait grande ouverte à des vins « fabriqués », « mondialisés, au goût standardisé. Sans un mythe pareil, les pourfendeurs de nos vins racés s’en donneraient -encore plus- à cœur joie !

Et puis,le plus important dans ce monde du vin qui m’est cher, c’est que l’on ne peut « comprendre » un vin (n’importe lequel) que si l’on connait l’homme qui se cache derrière l’étiquette. Sans homme (ou femme), le vin n’est qu’une boisson…

PETRUS : LES HOMMES

Mon ami (de 30 ans) Jean-François Moueix est donc le propriétaire de ce cru mythique. Cultivant l’humour et la discrétion comme d’autres le snobisme et l’esbroufe, il poursuit une politique exemplaire, qualitative certes, mais aussi commerciale, puisque c’est lui, et lui seul, qui vend Petrus (le cas est unique ici), notamment au travers de sa prestigieuse maison Duclot, ou de ses nombreuses autres entreprises (boutiques l’Intendant et Badie à Bordeaux, Châteaux Cash & Carry en région parisienne…) et un bon nombre de grands vins bordelais peuvent rendre aussi hommage à son impartialité et à sa fidélité envers eux, année après année. On ne peut contester que Petrus fait partie de la petite poignée des plus grands vins rouges du monde, et des 3 ou 4 plus grands crus bordelais, à un prix lui aussi hors normes, certes.

C’est l’archétype des grands crus où le terroir crée cette osmose exceptionnelle avec le cépage et les hommes et on comprend qu’il ne puisse qu’aiguiser la jalousie d’un bon nombre de producteurs médiatiques, libournais, médocains ou étrangers, qui ne peuvent, eux, faute de terroir et d’humilité, que se contenter de faire mariner à outrance leur vin dans des barriques en croyant qu’ils font une cuvée digne de ce nom… La surconcentration n’est pas un gage de grand vin et l’élevage abusif en fûts neufs non plus (Petrus n’en utilise que 50 % en moyenne).

PETRUS : LE TERROIR

“Lorsque l’on parle d’un vin, me confie Jean-Claude Berrouet, il faut d’abord présenter le sol, c’est lui qui lui donne son originalité, sa typicité et, à Petrus, l’originalité est particulièrement importante puisque l’on sort des sentiers battus bordelais. Ici, ce qui prime, c’est la rencontre de 2 argiles, une argile ancienne, bleue, arrivée dans la seconde moitié de l’ère tertiaire. Au Quaternaire, il y a eu des recouvrements graveleux, mais, à Petrus, ce sont des argiles noires gonflantes qui donnent la spécificité…

Petrus (11,5 ha) est situé sur un plateau et plus précisément sur un mamelon argileux qui culmine à 42 m d’altitude, ce qui permet aux eaux de ruissellement de surface de ne pas stagner et d’aller vers le bas. Ainsi, il n’y a jamais d’excès d’eau mais l’une des vertus de l’argile est ce pouvoir de rétention d’eau, elle se comporte comme une belle éponge, et restitue l’eau lentement à la plante en période de sécheresse. Petrus, c’est aussi l’expression d’un cépage, le Merlot, qui s’épanouit pleinement sur ces argiles.

C’est un vignoble très ancien. J’y suis arrivé en 1964 et j’ai connu une parcelle postphylloxérique qui avait été plantée en 1885. Il y a encore des parcelles plantées en 1957, mais la moyenne d’âge des vignes est de 35 ans. À partir de 1985, nous avons fait un gros effort de sélection massale en collaboration avec l’Inra et la chambre d’Agriculture. Pour les replantations, nous avons réintroduit les vieux pieds de vigne sélectionnés et passés en Tests Elisa pour vérifier leur état sanitaire. Ainsi, nous avons reproduit les vieilles sélections qui avaient été choisies par nos anciens, auxquelles nous avons ajouté de nouveaux clones, de telle sorte qu’on laissera aux successeurs la population ancienne et la population moderne. La culture de la vigne est très traditionnelle à Petrus : on laboure 2 fois par an, on chausse et déchausse. Les rendements varient de 25 à 39 hl/ha mais la moyenne se situe plutôt vers 35 hl/ha. Les vendanges sont manuelles, effectuées en cagettes avec un tri sévère effectué sur 2 tables de tri. La vinification est très traditionnelle avec des fermentations en cuves béton. Nous privilégions des extractions très mesurées, ainsi les cuvaisons ne sont pas très longues car nous souhaitons rester sur le fruit et des tanins soyeux. S’ensuit l’élevage durant 18 à 20 mois en fûts de chêne avec une proportion de bois neuf qui varie selon les millésimes (un peu plus de 50 %). Nous évitons le surboisage, toujours dans un souci permanent de préserver la spécificité du vin. Le vignoble est protégé en lutte raisonnée.

Nous pratiquons depuis 1991 l’étude de la maturité phénolique en parallèle avec la maturité physiologique. Avec l’indice de maturité et la dégustation des baies, parcelle par parcelle, nous déterminons une date de vendange la plus précise possible, ce qui est un facteur primordial pour obtenir la meilleure qualité d’un vin. La force du terroir se retrouve aussi dans le potentiel d’évolution. Celui de Petrus est très important et tout le monde se souvient encore des fabuleux 1953, 1955, 1959, 1961 ou de l’exceptionnel 1947…

Nous avons hérité d’un très grand terroir et cela est un privilège de la nature. Il y a une dizaine de parcelles qui ont des caractéristiques pédologiques propres, il existe une résonance du sol à un climat et, selon les millésimes, cela donne des variations (20 à 35 000 bouteilles). Petrus, c’est aussi une équipe, la gestion viticole est confiée à Christian Moueix et Michel Gillet, et celle de l’œnologie et du chai à moi-même et à François Veyssière qui a pris la succession de son père. Nous mettons toute notre expérience, notre connaissance au service de Petrus, un vin pour lequel nous n’avons pas le droit à l’erreur…”

PETRUS : MA DÉGUSTATION

Grandissime Pomerol 2005, puissant, très complexe, d’une très grande structure, aux arômes persistants et subtils de petits fruits rouges mûrs à noyau, de truffe, de cuir, très structuré, avec des tanins soyeux mais intenses, tout en distinction, de grande évolution.

Le 2004 est splendide, dans la grande tradition bordelaise, et l’on ne peut que regretter que ce millésime se situe entre les 2005 et 2003, la mode risquant de le laisser à l’écart (confer la grande dégustation).

À ses côtés, ce 2003, un vin dense, tout en harmonie, riche au nez, avec ces notes de mûre et d’humus, et des nuances de cuir et de pruneau en bouche, aux tanins fermes mais toujours très savoureux, de grande garde.

Le  2002 , intense et chaleureux, très charpenté mais très élégant, est de robe intense, aux nuances de vanille et de cassis, un vin racé et corsé, concentré au nez comme en bouche.

2001 : truffe, fruits macérés, humus… sont les premières sensations de ce très grand vin, le “velours” à l’état pur, où cette structure impressionnante sait se fondre dans une distinction incroyable, qui lui confère un potentiel d’épanouissement réellement exceptionnel, de très grande garde.

2000 : une structure de cathédrale. Puissance et distinction, chaleur et ampleur, une très grande complexité d’arômes (cuir, griotte confite…), un vin d’une grande harmonie, d’une très belle matière en bouche, majestueux, de très grande garde.

1999 : la saveur même. Complexe et gras, aux tanins présents, riche et parfumé en bouche, un beau vin charnu, charmeur, qui fleure les épices et les fruits frais, alliant puissance et finesse, dont le velouté est très caractéristique des vins de Pomerol.

1998 : exceptionnel. D’un très grand classicisme, de couleur intense avec des senteurs de truffe, de champignon, un côté animal, de cuir, vraiment superbe, encore jeune, complexe, de lente évolution.

1997 : remarquable. De robe pourpre foncé, aux arômes prononcés de musc, de truffe, de fraise des bois, aux tanins soyeux, de bouche généreuse, un vin très savoureux.

Pas facile de résister.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.