* Le plaisir des sens, l’art et le vin

« Boire du vin, c’est boire du génie. »
Baudelaire

Be cool, et revenir à l’essentiel. On en a marre de cette morosité ambiante véhiculée par des journalistes qui se complaisent dans le sensationnel, noircissant autant qu’ils le peuvent la situation actuelle : « dépression », « pire que la crise de 1929 » (ils y étaient ?), « régression », « panique »… bref, des mots pour attirer le chaland et qui, à force, entraînent le moral à la baisse. C’est à l’animateur qui va le plus exagérer, faisant ses choux gras du séisme financier, se faisant un malin plaisir d’attiser les craintes. Si grande crise financière il y a, en effet, elles concerne -de facto- la finance, les traders et partisans de « l’argent facile » (il y en a aussi dans le vin, voir mon article). Pathétique.

Pourtant, les entreprises tournent, se développent, on travaille -vous et moi- et on voit le décalage entre le « fric » et l’entreprise, la spéculation et la réalité. Voir aussi l’excellente intervention de Jean-Claude Trichet, qui sait de quoi il parle. Je ne dis pas que tout va bien, je dis qu’il faut faire la part des choses. Il y a quand même un milliard d’êtres humains qui n’ont rien à manger, et cela permet de relativiser, non ?

Dans cette période, donc, lavons-nous l’esprit : prenez votre verre de vin préféré (pensez au vigneron qui l’a fait, si vous le connaissez, c’est plus sympa), mettez votre cd du moment, installez-vous confortablement et regardez la toile que vous pouvez avoir en face de vous (on peut aussi aller au musée : Picasso vaut le détour en ce moment et sa confrontation à Delacroix, Manet, Titien, Goya, Ingres… est vraiment hors normes).

Bref, profitez du nez et de la vue, ces sens dont on se sert -aussi- pour savourer ce « Sang de la Terre et du Ciel » qui nous est cher.

J’ai une passion pour l’art contemporain. Pour l’art en général, d’ailleurs. J’ai acheté lorsque j’avais 20 ans (à crédit, je n’avais que des dettes) mes premiers tableaux (ceux où l’espace -celui des planètes- est omniprésent) à mon ami Michel Guéranger (on allait tous les trois, avec Lionel Poilâne, à un bon nombre de vernissages), puis auprès d’une amie galeriste nantaise. Pas besoin d’argent, ni de frime, le goût, l’instinct et la curiosité primaient. Eclectique, j’ai acquis d’autres œuvres, soit directement chez des artistes, soit dans des ventes aux enchères, et, même si l’on hésite toujours à signer un chèque, le pendant vaut la peine. On rejoint ainsi le monde du vin, où l’argent n’a pas d’importance tant on se fait plaisir avec peu de chose.

C’est toujours vrai. Car l »art, c’est un tout : l’expression du génie humain, l’art de vivre, celui du vin, celui d’être gourmet-gourmand, celui des livres et de la musique, etc. L’art, c’est aimer la force des hommes et de la nature, tout ce qui crée une osmose entre le réel et l’imaginaire, et nous distingue des plantes vertes.

On a tous des périodes. Cinq peintres me tiennent donc particulièrement à cœur en ce moment : Hartung, Zao Wou-Ki, passionné notamment par l’encre de Chine (elle n’est pas superbe, cette litho ?), PoliakoffChillida (grandissime sculpteur, avant tout) et Soulages. Si les toiles de Chillida et de Soulages sont totalement innaccessibles, Hartung suivant de près, on peut prendre beaucoup de plaisir avec leurs estampes, dans une fourchette de prix sages (de 800 à 2.000 €).

Quatre points majeurs pour ne pas se tromper :

1/. En peinture comme en musique (idem pour les vins), on ne peut comprendre une œuvre que si l’on en connait l’histoire : il faut d’abord « apprendre » le peintre et l’apprécier, suivre sa démarche (les livres DLM, voir plus loin, sont parfaits pour cela, comme les catalogues raisonnés). Ses premières œuvres sont souvent les plus intéressantes (et les plus recherchées) : elles donnent le « la » de l’artiste, à une époque où, inconnu, il ne se répétait pas ou ne créait pas pour vendre. Sa « patte » est alors la plus forte, même si, plus tard, certains vous diront que l’aboutissement est total (rien n’est moins sûr). Par exemple, on retrouve toute la force d’Hartung dans ses créations des années 1953-1954, beaucoup plus incisives que celles des années 1975. J’ai choisi pour illustrer mon article sa gravure « Sans Titre », de 1953 : on ressent vite sa rage contre la bêtise et la guerre qui se dégage de ces traits, d’autant plus si l’on sait le parcours de cet ancien légionnaire, blessé dans sa chair et son cœur…

2/. Il faut -outre se faire plaisir- investir dans les petits tirages (50 à 100). Après tout, si vous achetez une estampe de Chillida reproduite seulement à 30 exemplaires, vous ferez partie des 30 personnes au monde à en posséder une, ce qui n’est pas rien.

3/. En règle générale, préfèrez les Eaux-Fortes (acide employé sur une plaque de cuivre, créant des « trous » au travers desquels la peinture s’infiltre), qui ne permettent pas de revenir en arrière (la technique « sans repentir », me précise Mireille Champetier) aux Lithographies et surtout aux Sérigraphies. Pour Soulages, par exemple, il y a chez lui un réel intérêt pour cette méthode d’expression, véritable démarche artistique, et son univers « colle » au relief du papier. Voir son Eau-Forte N°2, la seconde qu’il réalisa, très intéressante sur sa démarche future (le « noir » profond).

4/. Il faut éviter les « stakhanovistes » de l’estampe comme Dali, Bellmer, Vasarely, Ernst, Tapies ou Vam Velde, sauf s’il l’on sait vraiment reconnaître quelques œuvres exceptionnelles (il y en a chez Tapies et Vam Velde), à des périodes très précises. Les galeristes sérieux vous aideront (et les livres également).

Et l’on peut débuter avec de belles lithos très abordables (200 à 500 €) de peintres moins connus qui sont des valeurs sûres comme Tal-Coat (une démarche reconnue), Olivier Debré (plus flamboyant, mais belle maîtrise), Alicia Penalba, Raoul Ubac, Paul Jenkins (le geste est ample) ou Claude Viallat, dans un style plus neutre.

Encore plus abordables (autour de 30 €, le prix d’une sortie au ciné), les livres DLM (Derrière le Miroir) des Editions Maeght : on a ainsi accès à un artiste, à sa démarche… mieux vaut en acheter un que se payer la litho du coin tirée en offset en provenance des Etats-Unis ou que l’on trouve en abondance sur ebay.  Pour quelques euros, on a ainsi le plaisir des yeux, qui rejoint celui de l’esprit. Que demander de plus ?

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